29 mai 2006

Rock and doll


"Jamais deux sans trois"... et pourtant force est de constater qu'après 2 films très réussis sur les ados désaxés Sofia Coppola fait sa crise !
Pourtant rien ne laissait présentir le navet : communication choc dès le début du tournage, bande annonce léchée au quart de poil annonçant icônoclasme et rythme endiablé. À la sortie du film, queues d'enfer à toutes les séances du cinéma MK2 Nation... "c'est sûr, c'est elle qui va l'avoir la palme" ! Et puis nous y voilà : le film démarre. Dès le générique Sofia semble vouloir donner le ton : musique punk tonitruante sur fond noir et lettres rose tyrien entrecoupé d'un plan fixe sur elle, Marie-Antoinette avachie dans un divan laissant courir ses doigts sur d'innombrables sucreries tandis qu'une habilleuse lui enfile ses souliers. La voilà l'image de Coppola ! Un mélange de rock'and roll et de froufrous, de satin rose et de bonbons. Jusque là pas de surprises : générique conforme à la bande annonce. La musique assourdissante s'arrête (ouf !) nous sommes à Vienne. Marianne Faithfull (fameuse icône pop que Sofia n'aurait su oublier dans sa gallerie d'amis Rock'n Roll (on note aussi la présence d'Asia Argento en Madame du Barry)) bouffie et déguisée pour l'occasion en Marie Thérèse d'Autriche fait ses adieux à Antoine, sa fille.
Début d'une biographie touchante... une enfant de 14 ans arrachée à sa vie sans le moindre scrupule, pour le bien de l'Europe que l'on doit pacifier par un mariage. Biensûr, être reine n'est pas une partie de plaisir... On le savait, Coppola nous le montre en insistant à juste titre sur le fait que Marie-Antoinette est un pion sur l'échiquier des relations internationales, qu'elle ne connait le Dauphin qu'au travers d'une miniature en émail, portrait qu'elle n'a de cesse d'ailleurs de regarder tout au long du voyage qui la conduit au royaume de France, comme pour mieux se pénétrer de ce visage inconnu et imaginer qu'autour de lui existe un sentiment amoureux... illusion biensûr car en France pas de sentiment ! que du protocole et c'est le raccourci auquel nous avons droit ensuite : Versailles, c'est le ridicule de la bienséance et de la forme (même si on sent un petit pincement au coeur : "nous les Ricains, on ne connaît pas les fastes de la monarchie absolue et au fond on aime bien ça"). Certes le lever du roi fait sourire la première fois... nettement moins les autres. Faut-il montrer la récurrence du protocole pour nous faire conclure à son aspect carcéral ? La réponse est oui pour Sofia Coppola qui abuse de plans similaires sur Marie-Antoinette esseulée dans des interminables galleries, qui abuse des plans où le champagne coule à flot... Scénario à volutes mais sans la moindre profondeur... puisque le coeur-point de retour du schéma narratif est : l'impuissance du roi (pour le spectateur qui est sensé rire) pour les protagonistes le fait que Marie-Antoinette ne fasse rien pour que son mariage soit consommé. Et précisemment, on comprend que Sofia Coppola a envie de faire un film sur une adolescente parachutée dans un monde rigide et glacé, qui ne laisse aucune place à l'onirique, à l'amour. On a envie d'ailleurs nous aussi de prendre ce parti pris là, de l'aimer la Reine après tout... au moins le temps d'un film ! Mais ça ne fonctionne pas ! Malgré la musique rock décalée, malgré l'adultère et l'alcoolisme... le style bonbon-poupée le tout servi sur une sauce rose ne sauve pas un scénario bidon.
Pourquoi s'embarrasser de la chronologie ? pourquoi parler du Comte de Fersen ou évoquer la fausse (et pourtant célèbre) citation de la brioche ? Pourquoi ? Pour l'avoir fait et ainsi satisfaire les historiens ? Pourquoi ne pas assumer un film d'auteur et envoyer valser la chronologie historique et faire un film plus introspectif sur la décadence d'une Reine de France, femme incomprise par son temps ? Au lieu d'un Lost in translation version 18ème siècle "Marie-Antoinette" est un film plombé par un récit trop linéaire jalonné de grossières ficelles (je pense au plan où Marie-Antoinette lit du Rousseau dans l'artificielle campagne du Hameau... ), une caméra trop distante (quoique question image les plans eux soient trop serrés) qui ne crée pas d'intimité spectateur-héroïne (Marie-Antoinette est mal aimée mais c'est normal, c'est un glaçon auquel personne ne peut s'identifier !)

Elle voulait enfanter une Marie-Antoinette icônoclaste, tantôt trash tantôt hippie... Sofia Coppola reste beaucoup trop au ras de l'Histoire et oscille entre frise historique (faut le dire vite) et film esthétisant la prétendue maladresse de deux ados couronnés.
Pourquoi elle ne tranche pas la Sofia entre film comique (bonne idée d'un Léonardo, couturier gay aux allures de J.P Gaultier, bonne idée aussi les converses roses égarées parmi la somptueuse collection de chaussures de la Reine), film historique ou film psychologique sur une femme qui n'a pas le droit d'être une femme comme les autres ?
Sans rancune Miss Coppola on compte bien se rattrapper au film suivant !


site officiel

9 commentaires:

Bérangère a dit…

Je ne suis pas d'accord, "Marie-Antoinette" est une grande oeuvre. Je n'ai pas tous les beaux mots d'Emmanuelle pour le dire, mais ... Je trouve que ce film n'est pas un film à scénario, mais un film d'émotions et de ressenti. Coppola nous met à la place de Marie-Antoinette, pas moins. Et d'ailleurs, pas forcément Marie-Antoinette, reine de France. On se fout de la fidélité ou non à l'histoire. En tout cas, nous sommes dans le vertige de cette jeune femme, vertige de sucreries, de tentures pastels, d'ennui, de mépris. C'est la nausée. L'alternance des plans larges, des plans filmés à l'épaule renforcent encore ce vertige. Le jeu distant de Kirsten Dunt aussi. Cette histoire là est encore une histoire de désaxés.

Au passage, les converses sont BLEUES, moi je les ai vues !

la grande fille a dit…

Mais si tes mots sont bien ! arrête de te foutre de moi ! Je ne remets pas en cause l'esthétique pastel-poupée-macaron du film très mignon et côté cul-cul la praline j'ai adoré. Je remets juste en cause ce que tu dis sur le côté universel de Marie-Antoinette... suis pas trop d'accord. Tu dis on s'en fout de la chrono, moi aussi... mais le gros problème c'est que justement dans le film la chronologie est respectée et même sur des points de détail.
Evidemment pour faire un film sur Marie Antoinnette vaut mieux connaître le 18ème siècle...
Je m'attendais à voir un grand film... la déception est encore plus grande.
Juste pour te piquer : si ce film avait été une grande oeuvre, il aurait eu la palme d'or !!!
;-)

la grande fille a dit…

Au fait pour ton anni tu manges toujours le même gâteau !! j'hallucine !

Bérangère a dit…

Si la Palme d'Or allait à des grands films, Michael Moore ne l'aurait pas eue. Et toc.

Faute de Ladurée, vive le Triomphe !

la grande fille a dit…

C exact... je me vois obligée de jeter les armes !

Bérangère a dit…

Comme je ne sais pas le dire, je le fais dire à BHL...


Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
"Sofia Coppola signe un chef-d'oeuvre"

Bernard-Henri Lévy
Le Point

Sur le « Marie-Antoinette » de Sofia Coppola, il y a une sottise au moins qu'il faudrait arrêter de reprendre en boucle comme on l'a fait pendant tout le Festival de Cannes : celle d'un film désinvolte, bourré de contresens et d'erreurs, car écrit par une Californienne ne connaissant rien à l'histoire de France.

Le côté rock de la mise en scène ?

New Order et Bow Wow Wow au lieu de Jean-Philippe Rameau et Lulli ?

La fameuse paire de baskets au milieu d'un tas de souliers de « chez Christian » ?

Oui, bien entendu. Mais peu importe. Car un film juste n'est pas juste un film exact. Et ce qui frappe en la circonstance c'est, par-delà les mini-anachronismes, par-delà les clins d'oeil et provocations calculés, par-delà une touche Vivienne Westwood ou macarons Ladurée qui est là pour ironiser ce que le genre même du « spectacle en costumes » tend, parfois, à épaissir et plomber, l'extraordinaire fidélité de l'oeuvre à ce que ses meilleurs biographes, étrangers et français, nous disent de la vraie vie de la vraie Marie-Antoinette.

Ses relations avec Louis XVI, son « gros garçon » de mari.

L'incroyable histoire, rarement aussi bien rendue, de ces sept années de misère conjugale épiée, commentée, par les ambassades de toutes les cours d'Europe.

La jeunesse de ces gens, des enfants encore, à peine des adolescents : on a pris l'habitude, illusion rétrospective aidant, de les voir comme des personnages tragiques, marchant à reculons vers un destin qui, de loin, multiplierait déjà les signes alors que ce sont des enfants, vraiment des enfants, des gamins espiègles et malicieux, sans crainte ni pressentiment, jouant avec leur couronne comme on chahute dans une cour de récré.

L'histoire d'amour avec Fersen où c'est elle, Sofia Coppola, qui a raison quand, comme Stefan Zweig, et contre les dévots acharnés, depuis deux siècles, au mépris de la vérité des textes, à sauver la « pureté » de leur reine, elle défend la thèse d'un amour consommé.

La rigueur et la frivolité de la Cour. Les scènes d'étiquette si impeccablement rendues dans ce qu'elles pouvaient avoir à la fois d'absurde et savant, dérisoire et sévère. Les rapports avec la Du Barry. Les fameux neuf mots de la dauphine à la favorite (« Il y a bien du monde aujourd'hui à Versailles ») que, non seulement Versailles, mais l'Europe attendaient, en effet, depuis des années. L'ombre de Rousseau et Beaumarchais. La coquette. La futile. La princesse rococo (Zweig encore) dont les badinages, les jeux, l'amour du théâtre et des masques, la soif furieuse de plaisirs, le sens inné de la liberté, l'art de la dépense, le goût d'atteler des carrosses en pleine nuit pour, dans le dos des duègnes, filer à l'Opéra et draguer, le côté « mannequin » avant l'heure (le mot même de Zweig et l'esprit, à nouveau, de ce que dit Coppola !) donnent effectivement le ton à toutes les fashion victims de l'époque.

L'idée, historiquement incontestable même si elle va à l'encontre de la doxa robespierriste, que le soutien à la révolution américaine aura coûté plus cher à Louis XVI que les frasques de sa femme.

L'innocence - c'est, encore, la réalité ; et c'est un autre mérite du film que de donner tout son poids d'images et de chair à cette indéniable réalité - l'innocence d'une reine qui fut plus légère que coupable, plus insouciante que criminelle, et qui n'eut rien, en tout cas, de cette Messaline, cette Frédégonde, cette traînée, cette mère incestueuse, cette suceuse du sang des pauvres, cette cynique, dont la même doxa a voulu accréditer la légende.

Ou bien enfin cette absence du peuple de Paris réduit, se sont indignés des festivaliers en proie à une crise soudaine de plébophilie galopante qu'allait, quelques jours plus tard, confirmer un palmarès certifié 100 % politiquement correct, cette absence, donc, d'un peuple réduit à des paquets d'ombres, sans corps ni visage, grondant aux grilles de Versailles et littéralement hors champ : là encore, c'est Sofia Coppola qui touche juste ; là encore, c'est une des vraies forces de son film ; car, dès lors que son point de vue était celui-là, dès lors que l'intégralité de la narration était écrite du point de vue de la reine et de la reine seule, l'erreur n'eût-elle pas été, précisément, de donner à voir et entendre ce que, par définition, et pour son malheur, elle ne put ni ne voulut entendre et voir ?

Ajoutez à cela l'extrême beauté d'une lumière signée Lance Acord et qui rompt - quel bonheur ! - avec le côté systématiquement feutré, ou sépia, des films historiques traditionnels.

Ajoutez la grâce poignante d'une Kirsten Dunst, double à la fois de l'auteur et de son personnage, qui tient, et au-delà, les promesses de « Virgin Suicides ».

Ajoutez Versailles comme il n'a jamais, quoi qu'en disent les grincheux, été ni conté ni montré au cinéma - une sorte de « Versailles est une fête » dont seule une lointaine héritière des grands Américains de Paris pouvait restituer la fantaisie et la vie.

Ajoutez tout cela et vous aurez, après ceux de Mme de Staël, de Stefan Zweig et de quelques autres, l'un des portraits les plus inspirés de notre reine aux épaules de champagne.



© le point 01/06/06 - N°1759 - Page 170 - 857 mots

la grande fille a dit…

Les émotions... ça ne se discute pas !

la grande fille a dit…

Mais je pense que Stefan Zweig se retourne dans sa tombe !

Anonyme a dit…

n'importe koi le film est excellent !