20 février 2007

Pas si bête !

Pas fan des documentaires animaliers, il était improbable que je regarde sans sourciller un documentaire, à la gloire de Koko, femelle gorille mondialement connue, recueillie par une étudiante américaine, chercheuse en psychologie, Penny Patterson. L’expérience a lieu sur l’île Maui (Hawaï) et débute en 1976. Penny mène dans le cadre de sa thèse un travail comparé entre la psychologie et l'intelligence humaine et celle des gorilles, singes les plus proches de l'homme (on parle d'hominidés). Koko, bébé gorille, va donc devenir le « cobaye » de Penny et devenir le sujet d’expérimentations aux enseignements déconcertants. Immédiatement et afin de travailler sur le potentiel psychologique des grands singes, Penny instaure un mode de communication, donc d’échange avec l’animal. Elle fait le pari que Koko peut comprendre et communiquer en anglais. En effet, progressivement Koko va donc apprendre le langage. Très vite elle se montre capable d’entendre et de comprendre l’anglais, mais le plus stupéfiant est qu’elle sache répondre, donc parler par le biais de signes. Telle une muette, Koko s’exprime aisément par une gestuelle complexe (Koko maîtrise environ 500 mots), apprise au fur et à mesure de son « enfance ». Ce premier résultat est déjà incroyable puisque Koko demande son repas, dit qu’elle est fatiguée, qu’elle aime jouer... Mais ce n’est pas tout ! L’apprentissage du langage permet à Penny de constater que les gorilles ont bel et bien une psychologie, dans la mesure où Koko exprime — au delà des besoins simples et primaires — de réelles émotions. Lorsqu’elle perd son chaton roux All-a-ball, elle exprime physiquement et verbalement une grande tristesse. De son côté, Mickaël, le second « cobaye » de la fondation, est lui aussi très affecté lorsque Penny lui pose des questions sur sa mère, dont on comprend (aux mots choisis par le gorille) qu’elle a été capturée, tuée et dépecée sous ces yeux (pratique courante dans certains pays d’Afrique australe). L’émotion est à son comble, certes, mais le plus extra ordinaire est de découvrir que la frontière entre l’homme et l’animal est si mince, presque inexistante ! Koko et Mickaël parlent, pensent, réfléchissent (Koko invente des mots et cette invention répond à une logique) et peignent (leurs œuvres sont régulièrement exposées et vendues au bénéfice de la Fondation Koko).
L’expérience de Penny est l’expérience d’une vie... déjà 30 ans qu’elle vit chaque instant aux côtés de Koko, qu’elle considère (sans folie) comme une sorte d’enfant, d’amie ? Il est vrai que koko a tellement de l’homme... et pourtant rien. Constat triste. Voici un être hybride entre l’animal et l’homme, fabriqué pour les besoins d’une expérience. Consciente de cela Penny, veille activement au bonheur du grand singe, d’autant qu’il est très probable que Koko survive à Penny (l’espérance de vie d’un gorille en captivité est rallongée à 50 ans), c’est pourquoi celle-ci encourage Koko à fonder une famille, ce qui lui permettrait de justifier son existence post expérimentale. Cependant, si Koko a déjà choisi (sur photo s’il vous plait !) son fiancé, elle ne semble pas encore prête à l’épreuve de la gestation, processus bien souvent entravé en dehors de l’environnement naturel. Pourtant il serait formidable de constater (ou pas) si l'apprentissage fait avec l'homme peut être transmis de singe à singe.
Quoi qu’il est soit Koko continue de vivre sa célébrité, réfugiée dans son île, tandis que moi, je continue d’admirer les travaux et le choix de vie de ceux qui choisissent de vivre leur passion, à l’instar de Penny Patterson, qui voue son existence à ses recherches et à ses gorilles. Quant à nous, nous voilà plus humbles, désormais que nous savons que nous ne sommes plus les seuls (pauvre Blaise Pascal) à être pensants.

10 février 2007

Sosie (bis)

Bonne résolution de 2007 : continuer à trouver des sosies à tout le monde... y compris à Julien. Je tiens à préciser que sans que j'y fasse la moindre allusion, plusieurs personnes, après avoir vu "Casino Royale" m'ont dit avoir cru voir Juju à l'écran ! C'est tout à mon honneur et dans les deux sens puisque je reste maître en matière d'attribution de sosie et puis Daniel Craig présente de certains atouts physiques non ?

05 février 2007

1897 / 2007 : le nez le plus célèbre a 110 ans !

Depuis le début de cet hiver "Cyrano de Bergerac" retrouve les planches de la Comédie Française. Entre panache et tragédie, la mise en scène exceptionnelle de Denis Podalydès nous donne encore mieux à apprécier ce héros légendaire au talent de poète hors pair.
Pourtant, on la connaît l'histoire ! Quand on ne l'a pas lu on l'a au moins vu jouée au cinéma, brillament d'ailleurs, par Gérard Depardieu. La remettre en scène après Rappeneau c'est se frotter à la comparaison donc à la critique, celle des spectateurs biensûr qui vont attendre au tournant tant de moments de bravoures, de la fameuse tirade sur son nez à la tragique fin au couvent. Pas facile non plus de succéder à notre talentueux et bien aimé Depardieu !
Craintes illusoires ! Ici, tout excelle : les comédiens (épatant Michel Vuillermoz dans le rôle titre), les décors et naturellement les choix inédits de la mise en scène.
Dès les premières minutes, nous voilà embarqués dans une folle aventure, les protagonistes s'agitent et sortent de partout ; la plupart des personnages nous sont présentés, soit sur scène, soit sur un écran où défile une vidéo présentant Roxanne, son prétendant notamment. L'entrée en matière promet le meilleur... et il arrive vite. En effet, la scène suivante laisse enfin découvrir Cyrano, jusque là caché dans une malle d'osier juste sous notre nez (si j'ose dire). C'est sur un rythme endiablé que s'ouvre la scène au théâtre, où Montfleury, comédien à la mode, mais piètre aux yeux de Cyrano, s'apprête à dire son texte. Nous, spectateurs, ne voyons cette scène que de trois quart, mais une caméra placée en coulisses nous permet de suivre Montfleury de face... Quelle audace de multiplier ainsi les angles de vue, et quelle innovation de créer du théâtre dans le théâtre... que l'on peut aussi suivre sur écran ! Cyrano s'amuse aussi avec cette caméra et nous interpelle des coulisses en nous regardant droit dans les yeux. Le public rit... il est déjà acquit à la cause de ce truculent individu dont la force comique égale son intarissable verve !

Les scènes glissent des unes aux autres sans que l'on ne puisse jamais rien reprocher aux partis pris de Podalydès dont la mise en scène dépasse celle du cinéma. Pourtant, au théâtre il semble que les moyens, les décors soient plus limités, et bien non ! La scène chez Ragueneau en témoigne. Elle est avec la scène sur le front, celle où le décor suffit déjà à vous propulser hors du temps et de l'espace ; il ne manque que l'odeur des fumets qui s'échappent des marmittes, tandis que du ciel descendent ustensiles et ingrédients que le divin patissier transformera en succulents péchés ! C'est dans ce décor doucement réaliste que Roxanne fait son apparition. Elle comme Christian (celui qu'elle aime) appartiennent aux héros romantiques, beaux et trop passionnés. Cyrano aurait aimé être de ces rêveurs, il en connaît la passion mais la sanction que lui inflige son physique le prive d'une rencontre. De fait il doit se contenter d'être poète, certes romantique. En la matière il excelle, c'est la force que tout un chacun lui connaît. Roxanne en fait les frais dans la scène où, sous son balcon, Cyrano lui déclare sa flamme sous couvert d'une nuit opaque propice à lui faire vivre son destin avorté. Rien n'est trop pour deux romantiques et Podalydès choisi alors de tout envoyer balader du décor pour restituer la farce du moment (Cyrano se fait passer pour Christian) mais aussi l'acmé onirique de la pièce : la fenêtre sur laquelle Roxanne est acoudée pour écouter son prétendu belâtre glisse sur les côtés de la scène et la voilà dans les airs, telle une fée en robe de mousseline blanche, transportée de la Terre aux Cieux, transcendée par la grâce des paroles de Cyrano... mais le pauvre Gascon n'en est pas à sa dernière tirade ! Il va encore falloir en raconter des histoires, notamment meubler 15 minutes en compagnie de De Guiche, le prétendant dont Roxanne ne veut pas. Pari ici encore gagné : alors que cette scène promet l'ennui, ici Vuillermoz excelle une nouvelle fois et pousse le comique à fond... car c'est aussi la dernière fois. A ce moment de la pièce, fini le romantisme, fini le comique. Rostand s'illustre en auteur tragique, et la fin de Cyrano semble iminente dès lors que le mariage entre Roxanne et Christian est sonné. Après l'entracte, nous voilà à la guerre, le ton est donné. Néanmoins si le ton de la pièce change, le décor reste magnifique puisque la poésie survit à l'épreuve de la bataille comme le suggèrent ces gros cotillons de papier rouge qui jaillissent des corps touchés par l'ennemi. Nous voilà enfin au couvent dans lequel Roxanne s'est retirée après que Christian se soit suicidé en livrant son corps inutile -désormais qu'il n'a pas l'âme poète tant aimée- à l'ennemi. Cyrano lui, comprend que ses lettres ont été l'apprentissage dont Roxanne avait besoin pour l'aimer. Pas de décor plus paisible que ce jardin pour apprendre la mort de Cyrano, impie invétéré qui se verra néanmoins ouvrir les portes du paradis, car au royaume de Dieu ce n'est pas la beauté qui constitue un passe, mais le coeur. Puisque Cyrano a souffert sa peine ici bas, qu'il monte au ciel par l'intercession de ses vers !
La tradition romantique a permis aux laids de devenir des héros : Quasimodo a une touchante laideur, mais Cyrano lui, cèlèbre en plus la spiritualité et l'esprit injustement ignorées. Cela en fait un personnage d'autant plus attachant qu'il est malchanceux et malheureux en Amour. Ce drame le hisse au sommet d'une galerie de héros... peut-être à la première place...
Merci pour cette inoubliable pièce et chapeau bas.

01 février 2007

Cani di bancata (chiens de rue)

Connaissez-vous le théâtre sicilien ? Pas plus que moi peut-être avant d’aller voir la dernière pièce de théâtre d’Emma Dante.
Le titre de celle-ci n’a déjà rien de convenu… Molière, cèlèbre provocateur n’était pas allez jusque là et pour cause ! il ignorait tout de la mafia italienne… sujet de cette pièce courte mais déconcertante. Je n’avais jamais vu un théâtre aussi brut et dérangeant : certains l’ont été au point de quitter la salle, d’autres ont applaudi à contre cœur en déclarant haut et fort la nullité du spectacle, forme d'expression qui, je trouve, résume surtout l'incompréhension du public. Il faut préciser tout de même que le baisser de rideau se fait sur une dizaine de personnages nus, l’un pendu à une potence les pieds ballants, les autres entrain de se masturber (de dos, pudeur oblige !) le corps peinturluré d'énormes lettres noires !
Tant de provocation pour dire à quel point la Sicile et par extension l’Italie est gangrenée par la pieuvre, infiltrée dans les moindres recoins de la société. On comprend que ce constat soit amer pour les Siciliens et pour Emma Dante qui en fait partie. Aussi elle n’a aucun scrupule à montrer avec cynisme l’absurdité et l’incohérence de l’Italie, chrétienne jusqu’au tréfonds et corrompue jusqu’au sang. Pas de scrupules à mettre une femme, la « mama » à la tête de cette tribu de chiens, qui l’appellent la « Santissima » alors qu’elle œuvre pour les pires crimes. L'évocation du Seigneur en ce décor incongru semble bien dérisoire !
La pièce bouillonne, ça mange, ça se bat, ça hurle, ça s’insulte et se crache à la figure ! Les voilà ceux qui sont aux commandes du pays : grossiers et incultes soit ! mais en plus agissant au nom de Dieu ! l’absurde atteint son sommet et le message est lancé. Le cynisme de ces fauves répond à celui d’Emma Dante qui propose une fin des plus déroutante ; pourtant elle ne devrait en rien faire sortir les gens de la salle car le plus odieux n’est pas, au fond, de voir la mafia se masturber en regardant la carte de l’Italie, mais la mafia elle-même. Message choc, pour une metteuse en scène que l’on sent ulcérée par un phénomène réel qui demeure invisible.

Le théâtre contemporain n'a visiblement pas fini de nous déranger donc de nous faire réfléchir... et tant pis pour tous ceux qui garderont les yeux fermés et sortiront encore des salles de théâtre sans jamais essayer de donner du sens à ce qu'ils voient... qu'ils retournent à leur télé et à leurs programmes formatés, pré-digérés et qu'ils ne choquent jamais plus leurs consciences non pensantes !