20 juin 2012

Ripolinez l'Art !


Au tout début de la rue Croulebarbe, il y a un grand mur.
Les "Artistes de la rue" repèrent les murs.
Pas mal de fois que Miss-Tic y a "poché" ses chouettes nanas.
À tous les coups c'est pareil : la Mairie du 13ème envoie sa petite équipe de karchériseurs pour nickéliser le mur. Sont marrants dans leurs pétrolettes avec leurs p'tits pinceaux. D'autres artistes !
Du bon boulot ils en font : ils remettent tout à nu... Et Miss-Tic revient.

Finie la clandestine. Miss-Tic est devenue une sacrée artiste (une artiste sacrée). Elle est évidemment reçue ici et là dans les médias (ouh ! que c'est prestigieux ça !), est accrochée dans les galeries... mais elle poche toujours et reste rebelle. Quand on se promène dans les rues de Paris on tombe encore sur ses jolies brunettes déjantées et toutes en jambes.
Delanoë a beau aimer l'Art, elles ne manqueront pas d'être encore et encore recouvertes de blanc ces pépées. Un brin de couleur dans nos vies/villes ? Il faudra s'accommoder du blanco, du bien lisse, du bien tout uniforme, du bien tout pareil, du bien tout qui ne choque pas, car c'est bien connu : "rouge sur blanc tout fout l'camp"...
Trêve d'humour (plus que) douteux, "on" parle désormais d'Art de rue afin de catégoriser un peu les choses, mais un esprit logique (!) est quand même en droit de se demander dans quel "cadre" il peut donc librement s'exprimer ?
L'Art de rue n'est pas franchement prêt d'être un art de vivre en ville...

18 juin 2012

Sushi c'est fini


C'est devenu notre petit rituel des dimanches des mois de mai et juin... à moins que cela ai commencé bien avant... pas seulement le dimanche.

En mai, nous avons un anniversaire à fêter.
En mai, il y a deux tours d'élection présidentielle : si Kiki est devant au 1er tour, on fait péter le Mumm et la NYC Box by Lenny Kravitz ; si Kiki est président on fait péter le Millésime Abelé (consigné à la cave) et la Black Box (à laquelle nous avons préféré devant le fait accompli (bravo Kiki) une sélection gargantuesque perso).
Je poursuis.
En juin, nous avons la fête des mères.
Le 1er tour des législatives : Deutz + "Allo ? Sushi Shop ??".
La fête des pères, et conclusion de ce marathon gastronomique : une assemblée ROSE BOURBON : Bollinger + Plateau ci dessus.

... Bon et maintenant on fête quoi ?

16 juin 2012

Moi, moi, moi et Newton aussi

Après avoir discuté avec les uns et les autres de telle ou telle situation relationnelle vécue ou non, je me suis mise à penser à Newton.
J'ai revu en flash le pendule chromé qu'avait mon père. Cet instrument de physique devenu the gadget dans les années 80.
Cinq boules métalliques maintenues en l'air par des filins. Quand la 1ère exprime sa force, elle dégomme les autres sans pour autant en rester là : Vlan ! Elle te renvoie le truc dans les dents...

... Beaucoup de gens l'ignorent, mais la pratique du "tu me piques / je te pique" valide, dans une certaine mesure la théorie du balancier de Newton. CQFD.

15 juin 2012

Rock'N Ormal

Threesommes.
Relation à trois.

Il y a (honneur aux dames) Valérie, Ségolène et François.
Ségolène et François vivaient ensemble.
Aujourd'hui François et Ségolène sont amis.
Valérie aime François, mais n'aime pas Ségolène.
Ségolène n'a pas donné son point de vue sur Valérie.
François vit avec Valérie.
À vous de compléter la grille...
... Sauf qu'il ne s'agit pas d'un jeu.

Les journalistes, la droite glosent depuis ce fameux tweet de la miss @valtrier et on nous sert à n'en plus finir du "1er faux pas de celui qui se prétendait normal" : bla, bla et bla...

Nan, mais, c'est pas ça précisément la normalité ?
Le divorce, la jalousie, les crêpages de chignons dans les familles tout court et a fortiori dans les familles recomposées, c'est pas ça la définition de la famille du XXIème siècle ?
J'avais lu dans Télérama, au moment de Noël, un excellent dossier sur le sujet. Pléthore de sociologues s'échinaient en effet à démontrer que la famille d'aujourd'hui avait changé de contours, qu'elle était polynucléaire et totalement regénérée dans ses rapports : re-bla et bla et bla...
Quel dommage que les journalistes aient compris (merde à l'intelligence) qu'il pouvaient gagner beaucoup de fric sans faire leur métier. Merde à la racole, c'est toujours le fond qui en pâtit !
J. Brel disait : la bêtise c'est de la paresse...
... Alors gardons la force d'ouvrir les livres.

14 juin 2012

À la chaîne


Machinalement il prenait toujours ses rendez vous le lundi.
Il avait observé que le cabinet médical était plus calme, qu'il n'y croisait personne. Pas de patients ou peu, seul le psychiatre qu'il consultait depuis plusieurs années. Médothique et organisé il était donc contraint de "prendre sa journée" comme on dit dans le monde du travail, afin de se rendre à sa séance thérapeutique ordinaire. Au départ, il fallait camoufler sous divers motifs ces "absences" relativement régulières et systématiques du lundi, mais au fur et à mesure qu'il avançait dans le travail, le médecin avait espacé les "visites" et désormais les consultations prenaient la tournure d'un "appoint". Le traitement réagissant bien selon lui, ce dernier avait pris la décision mais "avec votre accord", d'en rester là : une consultation trimestrielle.

Le cabinet d'un psychiatre.
Il était de nature rêveuse. Parfois au bureau, entre deux projets, il se rendait bien compte que son esprit s'envolait. Son regard dépassait le cadre, allait se fixer au hasard sur le tableau en liège du fond ou sur le porte manteau. De là, il pêchait une idée, se revoyait garçon sur son vélo pour faire la course ou se bagarrer avec son frère. Dans le même esprit il revoyait encore ce frère lui fourrer des bottes de pissenlits par l'arrière du chandail...
Disparu dans la nature son frère. Son jumeau.
Un jour, il avait reçu une carte de Montréal.
Là bas, tout allait lui sourire, il l'écrivait. Personne n'en aurait douté. Il était de l'espèce des gagnants et l'avait déjà démontré à bien des reprises au sein du couple "les jumeaux"- on les nommait ainsi en famille. Sous couvert du rire absurde des Grands, il avait tant de fois été brimé par ce frère, qu'il fallait être aveugle et sot pour ne pas comprendre la distance, non seulement physique, mais affective entre eux devenus adultes.
Aussi paradoxalement soit-il, quand son esprit divaguait et malgré tous ses ressentiments il voyait son frère et sa jeunesse.
En réalité quand il se regardait aujourd'hui il avait bien du mal à faire la synthèse entre cette enfance en apparence heureuse et le présent sinistre dans lequel il estimait patauger. Au prix d'un effort intellectuel monstre il tentait d'expliquer ce hiatus en vain. Qu'est-ce qui l'avait amené à pousser cette porte et à s'allonger un beau (?) jour sur ce divan ?

Il en était passé par toutes sortes de mal être mais leurs traductions avaient toujours cependant une nature commune : l'excès, le scandale. Périodiquement il sombrait dans la consommation d'alcool et de drogues puis enchaînait sur des phases de flamboyance professionnelle qui lui conférait une célébrité et un sex appeal intéressant au sein de l'entreprise. De fait, il se livrait par exemple sur le plan sexuel à une conduite hautement risquée, organisant sa débauche dans des conditions hygiéniques irresponsables. Longtemps il s'était trouvé des circonstances atténuantes, mettant tout sur le compte de son job et du "Monde Artistique" nécessairement Bret Easton Ellisié. C'est un matin, très tôt, en quittant le casino d'Enghien, qu'il réalisa au volant de sa Chevrolet-Bel Air 1957, que rouler à tout berzingue à moitié bourré et les poches vides ne pouvait pas être qu'un style de vie. C'est aussi parce qu'après cette période "glorieuse", le cours de sa vie se compliqua sérieusement. Pour des raisons le dépassant littéralement et en "conséquence de la situation économique mondiale", son entreprise se trouvait de facto rachetée par sa concurrente britannique. Ils en avaient tous tellement entendu parler qu'au fond, au bureau, ils n'y croyaient même plus. Pourtant, la réalité se traduisait par un gigantesque plan social. Pour toute explication il fallait se contenter grosso modo d'un "pas commodes les rosbifs", y compris venant des supérieurs hiérarchiques dont on pouvait attendre mieux quand même.
Pas eux qui allaient bouffer des alphabets dans la soupe. Reclassé ? Même pas. Concrètement il était VIRÉ.

Les questions matérielles n'allaient pas se poser tout se suite. Nombreux étaient ceux qui lui faisaient remarquer qu'il "dormait sur un tas d'or", faisant parti de ces "jeunes parisiens" ayant investit dans la pierre. En outre, si lors de ses phases maniaques il claquait littéralement tout se qu'il avait dans les mains,  ses salaires lui avaient assuré une épargne convenable.
Le coup porté, l'était au moral. Il se tuait à incarner la vaillance, non seulement dans la sphère professionnelle mais aussi familiale et il commençait à trébucher sur ce costume dégrafé.
Sur un plan strictement pathologique, on le soignait pour dépression. Il ne cherchait pas tellement à en savoir plus. Il acceptait les faits, s'en remettant sagement à la science convaincu de toute façon qu'en connaître davantage sur le sujet ne pouvait en aucune manière apaiser le terrain. Le psychiatre ayant bien fait le tour de sa nature profonde avait donc affiné au fil du temps un cocktail de psychotropes idoines et "dernière génération" censés réguler le fonctionnement cérébral. La science étant ce qu'elle est, il avait toutefois ponctué que "tout cela ne faisait pas de miracles". Lui, en avait compris l'essentiel : la chimie n'efface pas la folie humaine. Le succès était dans la modération et le contrôle partiel. Sortir de l'addiction, c'était encore autre chose.
Il avait renoncé à comprendre pourquoi il s'infligeait ces petits rituels. Se droguer, boire, rouler, dépenser : s'éclater  au sens le plus large possible : propre/figuré, SALE. Il y avait lui, pitoyable, débraillé, encore tout cuvant au volant de son américaine ; et puis lui rentrant de rendez-vous nocturnes où le charnel et le violent s'expriment en groupe dans un mélange nauséabond et malsain. Revenu de tout cela, il avait du mal à ne pas s'interroger sur le sens de ces agissements. Cela ne lui apportait rien... même plus le plaisir, si tant est qu'il en ai eu un peu au début. Un jour, allongé sur le divan, il s'était surpris à dire : "c'est comme ça, il faut que je le fasse". L'illusion d'un mal pour un bien...

À la pointe sèche.
Je suis illustrateur. La boîte m'a embauché pour ça. Ils aimaient bien mes dessins. Ils m'avaient repéré dans une galerie. Mes gravures se sont retrouvées dans leur Canard. Aucun mal à m'imposer. Ça a tout de suite convenu au patron. Professionnellement, pas de problème. Pour moi il n'y avait pas de problèmes. Maintenant on me serre la main, "mon pote, on est désolés". "Désolés". C'est un peu court...
Je pense à ce paquet de suivants, trop contents de me voir partir. Ah ! j'en ai fait marrer quelque uns avec mes gribouillons. C'est qu'à "Pâaris les gens sont assez stupides pour mettre une fortune dans une merde griffonnée". Ils l'ont leur vérité : je suis dans l'ascenseur direction le sous sol.
Comme à chaque séance, le docteur écoutait sagement. Il ne notait rien, mais de toute évidence n'en ratait jamais une. Après un long silence, c'est lui qui prit la parole et pointa son index : "souhaitez-vous me parler de ces marques là ?"
Il s'était taillé doucement le bras gauche comme il incisait ses plaques de métal. Une fois encore il n'avait pas cherché à intellectualiser l'acte. Il n'avait plus de matière à travailler, il s'était mis à usiner méticuleusement son corps. À problème, solution.

Lundi.
Cartes sur table.
Le psychiatre semblait heureux d'agréger enfin de nouvelles pièces au dossier. Il l'avait trouvé profondément concerné quand il avait évoqué le licenciement.  Sur son visage filtrait quelques émotions, perceptibles à un haussement de sourcil, à une longue inspiration.
Fin de la séance.
En général, le psychiatre se gardait le droit de conclure et de distiller de longues phrases savamment codées qu'il était probablement  le seul à comprendre. Il marqua un temps bref, pris une feuille vierge sur sa gauche et dit avec un léger rictus en regardant son patient par dessus les lunettes : "trithérapie !". Un rien cynique, il se flattait de récupérer ce terme sinistrement connu pour l'appliquer au traitement de choc qu'il administrait aux malades frappés d'addictions non chimiques. Puis, après avoir regardé sans aucune précaution l'horloge posée sur l'étagère à sa droite, il dit : "dans cinq minutes mon patient suivant sera à votre place. Il va bien aujourd'hui. Il y a 2 ans, il se mutilait vingt cinq fois par jour. Je ne propose jamais cela. Avec vous, j'ai une intuition : rencontrez-le."

Salle d'attente.
Il entendit le patient sonner et le psychiatre lui exposer la situation. L'homme était d'accord. La rencontre aurait lieu. Le médecin revint et indiqua le chemin du cabinet, chose acquise. L'autre était déjà installé, de dos face au bureau.
Même de dos, même la nuit, même partout, même dix ans après il le reconnaissait. L'autre patient, l'autre malade, l'autre, c'était lui, le frère.
Mais lui, c'est lui ?
Il senti tous ses repères partir.
Physiquement d'abord. Il sentit ses oreilles se déconnecter de la scène et le besoin instantané de se raccrocher à quelque chose pour ne pas chanceler. Sa vue devint blanche, sa respiration profonde et rapide avec une angoissante sensation de manquer d'air, d'étouffer. Il plaqua ses mains contre son visage en inspirant ses paumes puis les fit glisser sur sa poitrine toujours haletante.
Le psychiatre avait perdu la main sur la situation, stupéfait d'assister à une pièce dont les acteurs lui échappaient totalement.
Un mauvais trip, il en avait connu.
La réalité était désormais en face comme un miroir.

11 juin 2012

Regarder les fenêtres

Il y a sans doute des saisons propices.
À la radio, ils nous rappellent que nous autres, les Français nous déménageons beaucoup. Beaucoup plus fréquemment qu'auparavant. Accélération des mobilités, efficience toujours renforcée des moyens de transport...
C'est dans la soirée que je me suis mise à réfléchir à ça. Je me suis souvenue les différents appartements que j'avais déjà occupé ici à Paris : deux dans le XIème arrondissement et puis l'actuel dans le XXIème. J'y repense. Souvent d'ailleurs, mais sous forme de "référence", pas comme une nostalgie. Bien sûr ces lieux sont associés à de nombreux souvenirs, beaux et certainement moins beaux (il faudrait davantage y réfléchir), mais une fois quittés, les lieux disparaissent, comme si une fois la porte refermée, le tour de clé donné, le chapitre était clôt. C'est purement logique : une fois votre bien vendu, vous n'êtes plus "chez vous" ; je ressens tout à fait cela, cloisonnant parfaitement le passé du présent.
Chaque emménagement par la réciproque est une nouvelle page à écrire. Néanmoins, nous ne sommes jamais neufs dans les histoires. Depuis notre installation ici, où beaucoup reste encore à faire, les projets d'aménagement et de décoration vont bon train. Je parlais plus haut de "références". C'est vrai. S'il n'est pas difficile de passer d'un espace à un autre, en revanche on recherche toujours un peu le même décor. La nuance est subtile. C'est étrange cette nécessité à systématiquement recréer son cocoon. C'est profondément animal j'imagine.
Enfin, je m'éloigne un peu de mon illustration et de la brève idée que je souhaitais exposer aujourd'hui. Ce soir là, faisant donc l'inventaire des lieux que nous avons habité dans la capitale, j'interrogeais Julien et lui demandais si nous aussi, nous ferions comme nos parents, enfin comme les miens faisaient lorsque j'étais petite... et même longtemps après encore.
Est-ce que nous aussi plus tard, repassant en voiture dans le onzième arrondissement, rue des Goncourt ou des boulets, nous ralentirions le véhicule pour nous pencher et regarder, le nez collé à la vitre, les yeux levés vers l'immeuble, notre passé avec notre fille assise à l'arrière tout à l'écoute et pourtant exclue de cette histoire et des "tu te souviens..." ?

08 juin 2012

Queue de cheval

La plupart du temps les supplices étaient raffinés.
Les bourreaux se donnaient d'abord la peine d'asticoter les victimes sur le papier, théorisant sur l'Art et la manière de tuer. Pas forcément de code pour les femmes. On adaptait au besoin. L'essentiel c'est le châtiment, mais par la ligne courbe. Que ça dure. Le tumulte s'accommode avec la justice. 

Il est question un autre temps. 
D'un temps barbare ?
Il est question d'une femme. D'une jeune femme. Encore neuve. D'une beauté déconcertante. Un visage lisse, aux contours adoucis. Des traits réguliers ciselés avec précision dans les chairs. Le nez rectiligne, les yeux grands, dorés ; la bouche délicieusement rosée. Tout ensemble participait d'une sorte de perfection mathématique, telle une créature fondée sur le nombre d'or. La chevelure cependant faisait exception. Elle était démesurément longue, laissée ainsi depuis des années. Personne à cette heure, ne connaissait le véritable motif de cet abandon. 

Ici et là, on entendait bien des légendes. 
Des racontars fameux se répandaient dans le royaume. Cette toison nourrissait les passions les plus délirantes et viles. Les hommes et les femmes aussi, souillaient la jouvencelle de vulgaires pensées : les plus véhéments la fantasmait en gourgandine, tandis que d'autres, plus modérés et minoritaires contaient de folles romances et l'inventaient Pénélope. 

Il est temps de dire à présent qu'elle était fille de France, mais inutile pour l'heure d'en savoir plus. 
Deux colosses sur ordre la capturent. Elle se débat et crie. Violentes douleurs. Elle a mal aux poignets, ils les lui serrent très fort. Bruits de ferrailles. Son visage n'a pas l'habitude des formes qu'il prend à l'instant. Son front n'a jamais connu les rides, ses traits n'ont jamais autant tirés. Ce sont des brutes. Brusques. À certains instants ses pieds ne touchent plus le sol. Ils le frôlent, des orteils tout juste. C'est comme ça qu'elle a monté les escaliers : empoignée aux aisselles et le dessus des orteils léchants l'arrête des marches. 
Odeur chaude et pestilentielle de ces gens de main. Peur et incompréhension. Un innocent supplémentaire va subir une arbitraire décision.


Pleine lune.
Robe blanche noircie par ces péripéties nocturnes. Ils la présentent enfin au père. Dignité de roi malgré l'heure, le lieu, les circonstances. Paroles. 
Par sa personne, Mademoiselle met à mal l'image et l'intégrité du royaume. "Calomnie", "Risée des monarchies voisines", "croyez bien qu'il m'en coûte mais après avoir considéré toutes les possibilités, seule celle de votre sacrifice s'offre à moi". 
Quelques mots en plus ; de l'ordre de la justification par la raison d'Etat et non celle du coeur, qui n'est pas remise en question. Il le dit. À cette heure, les mots sonnent tout de même un peu faux, quand l'un s'en retourne mettre son grand corps au chaud du lit et que l'autre part pour le grand voyage... 


Pour redonner un peu de lustre au blason de France, l'on avait décidé en haut lieu de frapper fort. Pour éradiquer les rumeurs et laver l'infamie, un cercle de spécialistes avait été sommé de proposer à la victime plusieurs sévices aussi cruels que possible et surtout inédits. Après débat, le père trancha. La foule serait rassasiée de voir dans les rues de Paris la fille nue, montée sur un cheval vagabondant au hasard. Enfin, il lui parut juste qu'elle soit condamnée par là où elle était prétendument coupable d'avoir péché. Il décida donc qu'elle serait attachée par la chevelure à la queue de l'animal par la circonstance rendu fou. Son corps fût retrouvé bien entendu. Loin. Vilain spectacle. 
Traînée sur des kilomètres. Le peuple se délectait. Celle qu'il nommait ouvertement "la traînée" payait ainsi le juste prix et opérait symboliquement une sorte de purge du pays, le lavant de tous ses péchés. Le père aimait dire que "tout avait si bien été étudié à l'avance", jusqu'au petit "jeu de mot" ; il se flattait de tant de réussite politique ignorant l'ignominie de la situation.
Peu de choses. Il en restait peu de choses, d'elle et de sa beauté. Ses cheveux avaient tenus, résistants un long moment. Ils lui avaient été fidèles ne cédant rien ni aux pressions de la course ni à celles du terrain. Ils s'étaient effilochés secondes après secondes mais l'avaient accompagnée jusqu'au bout, rompant à l'unisson de son dernier souffle. 


Elle n'avait jamais cru bon se répandre auprès de ses soeurs, ni de sa mère. Elle avait fait fi des bruits de cour. Elle avait affronté, le matin même, sans honte, les crachats de la foule. L'intégrité lui avait réchauffé les entrailles et tout était resté dedans. Elle n'avait jamais cherché querelle à personne et elle partait heureuse en dépit du sort infligé. Elle partait soulagée du monde, libérée de ces lointains et de ces proches qui l'avaient tant vilipendée. 
Par la force des choses elle était donc prête à retrouver celui pour lequel elle avait laissé cette tête en friche. Un garçon-chevalier parti guerroyer et jamais revenu. Elle l'avait cru mort. Amoureusement, elle avait consigné cette tendresse sur l'écorce d'un arbre, en gravant sauvagement quelques mots signifiants. Elle y jurait devant la nature qu'en l'honneur de lui et de son bonheur si grand de l'avoir connu elle ne toucherait jamais plus ses cheveux pour en garder les torsades qu'il s'y enroulait le long des doigts. 


Je peux vous raconter cette histoire.
Faites confiance, je la tiens de source sûre. 
Il y a trois ans, j'ai fait la connaissance d'un homme. C'est lui qui me fit ce récit. Cet homme est le guerrier. Le guerrier n'a pas péri. Revenu au pays, il s'enquit des nouvelles au plus vite et su ce qu'il y avait à savoir. Pour se recueillir il se dirigea vers le parc attenant où le sous bois semblait encore résonner de leurs rires. Il sentit l'émotion le submerger, les larmes dilater sa vue. Des images folles se mettaient à danser dans sa tête. Elles combinaient des temps et des évènements dénués de liens : il y avait Elle, puis le champ de bataille sous la pluie, la mort en personne et des rires d'enfants. Il ferma les yeux avec énergie et donna un petit coup sec de la tête vers l'avant comme pour se réveiller d'un cauchemar. Il revenait de la guerre. Il en avait vu. Il n'allait pas se laisser avoir par ces chimères bonnes à rendre fous les soldats. Il continua sa marche jusqu'à l'arbre. Un arbre qu'il ne savait pas décrire, ignorant tout de la botanique, mais dont il disait "notre arbre". Il enserra le végétal dans une longue étreinte, la joue contre l'écorce, les mains agrippées aux reliefs du bois. Ce n'est qu'ensuite, en faisant un pas en arrière qu'il fût interpellé par l'accroc sur le tronc. 


Est-il nécessaire de raconter ce qui est beau? 
Est-elle savoureuse l'histoire qui narre le réussi, le merveilleux ? Du malheur et du dramatique sont nés les plus beaux poèmes, les romans les plus éclatants. 
Allez Compère ! Cette histoire n'a pas de morale, elle parle d'un autre temps, reprenez vie ! Mais grâce à moi, vous connaissez désormais avec certitude cette histoire !
Nous nous sommes trouvés l'un en face de l'autre, ce soir à cette table et vous m'avez semblé sympathique au point que je ne lâche plus la parole. Tenez, je vous offre ce dernier verre pour me faire pardonner cette mélancolique histoire et nous aurons ainsi tout oublié de l'affaire !


Librement inspiré par le tableau de John Collier
Lady Godiva, 1898, The Herbert Museum, Coventry.

01 juin 2012

Tirelire et vibrations

Flood

Il est des moments comme ça, où devant le travail d'un artiste, on ressent le besoin d'une longue pause pour le déguster, s'en imprégner au plus profond comme pour en retirer un petit quelque chose de souvenir réactivable a posteriori. Ce phénomène est toujours illusoire. On ne "retient" jamais un tableau, néanmoins il nous reste des impressions de couleurs, de textures. Impossible de compter sur les reproductions papier, elles sont la plupart du temps à pleurer... et je ne parle même pas des formats 10x15 !
Donc, si je résume, quand on aime un tableau, il y a une seule solution : l'acheter.
Aujourd'hui, j'ai découvert Aron Wiesenfeld.
La quintessence des critères bons à faire vibrer LGF :
- sujets féminins ;
- hyper réalistes (ici il y a presque du réalisme soviétique je trouve) ;
- mélancoliques voire tristes ou inquiétants.
- mystérieux / symbolique.
Je ne connais pas sa côte.
Je ne joue pas au loto.
C'est très triste.

SITE de l'artiste
Ruth