05 février 2007

1897 / 2007 : le nez le plus célèbre a 110 ans !

Depuis le début de cet hiver "Cyrano de Bergerac" retrouve les planches de la Comédie Française. Entre panache et tragédie, la mise en scène exceptionnelle de Denis Podalydès nous donne encore mieux à apprécier ce héros légendaire au talent de poète hors pair.
Pourtant, on la connaît l'histoire ! Quand on ne l'a pas lu on l'a au moins vu jouée au cinéma, brillament d'ailleurs, par Gérard Depardieu. La remettre en scène après Rappeneau c'est se frotter à la comparaison donc à la critique, celle des spectateurs biensûr qui vont attendre au tournant tant de moments de bravoures, de la fameuse tirade sur son nez à la tragique fin au couvent. Pas facile non plus de succéder à notre talentueux et bien aimé Depardieu !
Craintes illusoires ! Ici, tout excelle : les comédiens (épatant Michel Vuillermoz dans le rôle titre), les décors et naturellement les choix inédits de la mise en scène.
Dès les premières minutes, nous voilà embarqués dans une folle aventure, les protagonistes s'agitent et sortent de partout ; la plupart des personnages nous sont présentés, soit sur scène, soit sur un écran où défile une vidéo présentant Roxanne, son prétendant notamment. L'entrée en matière promet le meilleur... et il arrive vite. En effet, la scène suivante laisse enfin découvrir Cyrano, jusque là caché dans une malle d'osier juste sous notre nez (si j'ose dire). C'est sur un rythme endiablé que s'ouvre la scène au théâtre, où Montfleury, comédien à la mode, mais piètre aux yeux de Cyrano, s'apprête à dire son texte. Nous, spectateurs, ne voyons cette scène que de trois quart, mais une caméra placée en coulisses nous permet de suivre Montfleury de face... Quelle audace de multiplier ainsi les angles de vue, et quelle innovation de créer du théâtre dans le théâtre... que l'on peut aussi suivre sur écran ! Cyrano s'amuse aussi avec cette caméra et nous interpelle des coulisses en nous regardant droit dans les yeux. Le public rit... il est déjà acquit à la cause de ce truculent individu dont la force comique égale son intarissable verve !

Les scènes glissent des unes aux autres sans que l'on ne puisse jamais rien reprocher aux partis pris de Podalydès dont la mise en scène dépasse celle du cinéma. Pourtant, au théâtre il semble que les moyens, les décors soient plus limités, et bien non ! La scène chez Ragueneau en témoigne. Elle est avec la scène sur le front, celle où le décor suffit déjà à vous propulser hors du temps et de l'espace ; il ne manque que l'odeur des fumets qui s'échappent des marmittes, tandis que du ciel descendent ustensiles et ingrédients que le divin patissier transformera en succulents péchés ! C'est dans ce décor doucement réaliste que Roxanne fait son apparition. Elle comme Christian (celui qu'elle aime) appartiennent aux héros romantiques, beaux et trop passionnés. Cyrano aurait aimé être de ces rêveurs, il en connaît la passion mais la sanction que lui inflige son physique le prive d'une rencontre. De fait il doit se contenter d'être poète, certes romantique. En la matière il excelle, c'est la force que tout un chacun lui connaît. Roxanne en fait les frais dans la scène où, sous son balcon, Cyrano lui déclare sa flamme sous couvert d'une nuit opaque propice à lui faire vivre son destin avorté. Rien n'est trop pour deux romantiques et Podalydès choisi alors de tout envoyer balader du décor pour restituer la farce du moment (Cyrano se fait passer pour Christian) mais aussi l'acmé onirique de la pièce : la fenêtre sur laquelle Roxanne est acoudée pour écouter son prétendu belâtre glisse sur les côtés de la scène et la voilà dans les airs, telle une fée en robe de mousseline blanche, transportée de la Terre aux Cieux, transcendée par la grâce des paroles de Cyrano... mais le pauvre Gascon n'en est pas à sa dernière tirade ! Il va encore falloir en raconter des histoires, notamment meubler 15 minutes en compagnie de De Guiche, le prétendant dont Roxanne ne veut pas. Pari ici encore gagné : alors que cette scène promet l'ennui, ici Vuillermoz excelle une nouvelle fois et pousse le comique à fond... car c'est aussi la dernière fois. A ce moment de la pièce, fini le romantisme, fini le comique. Rostand s'illustre en auteur tragique, et la fin de Cyrano semble iminente dès lors que le mariage entre Roxanne et Christian est sonné. Après l'entracte, nous voilà à la guerre, le ton est donné. Néanmoins si le ton de la pièce change, le décor reste magnifique puisque la poésie survit à l'épreuve de la bataille comme le suggèrent ces gros cotillons de papier rouge qui jaillissent des corps touchés par l'ennemi. Nous voilà enfin au couvent dans lequel Roxanne s'est retirée après que Christian se soit suicidé en livrant son corps inutile -désormais qu'il n'a pas l'âme poète tant aimée- à l'ennemi. Cyrano lui, comprend que ses lettres ont été l'apprentissage dont Roxanne avait besoin pour l'aimer. Pas de décor plus paisible que ce jardin pour apprendre la mort de Cyrano, impie invétéré qui se verra néanmoins ouvrir les portes du paradis, car au royaume de Dieu ce n'est pas la beauté qui constitue un passe, mais le coeur. Puisque Cyrano a souffert sa peine ici bas, qu'il monte au ciel par l'intercession de ses vers !
La tradition romantique a permis aux laids de devenir des héros : Quasimodo a une touchante laideur, mais Cyrano lui, cèlèbre en plus la spiritualité et l'esprit injustement ignorées. Cela en fait un personnage d'autant plus attachant qu'il est malchanceux et malheureux en Amour. Ce drame le hisse au sommet d'une galerie de héros... peut-être à la première place...
Merci pour cette inoubliable pièce et chapeau bas.

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