13 juin 2006

C.R.A.Z.Y !


Les films sur les ados ? On adore ! On a aimé "Virgin suicides", redemandé du "péril jeune", voici C.R.A.Z.Y, une mouture canadienne.
Pink Floyd, pantalons pattes d'éph, lunettes "aviator" RayBan, et pétards à gogo, nous voilà immergés dans les seventies... celles du moins de nos clichés immédiats.
Les années 70, au Canada ou ailleurs, sont aussi celles d'une société qui vire de bord vers un matérialisme exacerbé. Pas anodin que les Beaulieu hommes, passent leur temps à laver et relaver leur voiture déjà propre, objet sacro saint et emblème de la toute puissance masculine. Pas anodins non plus les beaux cadeaux d'anniversaires, ni l'omniprésence des pick up, objets de consommation devenus indispensables tant pour le père que la voix de Patti Cline a arrêté dans un autre temps que pour le fils qui se jette à corps perdu dans l'avenir : le rock.
Étouffée par le rêve américain, la famille Beaulieu cherche un contrepoids spirituel, la religion. C'est sur un terrain ambiguë que s'échafaude le film, dans un espace où se mêle indifféremment le matériel et le mystique.
Deux générations prennent place : parents et enfants. Entre les deux, un fossé immense, mais au fond, de l'"emmenez-moi" d'Aznavour aux transes de Bowie, le rêve est le même : fuir, se fuir soi même.
La plupart du temps, Gervais, le patriarche, demeure figé dans son costume de père fouettard. Ce n'est qu'occasionellement (lors des fêtes de famille) qu'il ose se montrer tel qu'il se rêve, fuir la réalité et endosser le temps d'une imitation le rôle de son idôle, Charles Aznavour. À sa façon, la mère a son ailleurs : Jérusalem la sainte, où elle n'ira jamais sans doute, mais à laquelle elle rêve au travers d'images pieuses et de livres. Chacun ses idôles...
Partir et changer... être différent donc ? C'est aussi ce que cherche à être Raymond, le second des Beaulieu, qui contrairement à son aîné-rangé refuse catégoriquement la rigidité du modèle familial, mais quelque part aussi sa lucidité. Afin de devenir lui même il se transforme (comble de l'ironie) en faux-Jim Morisson tout aussi drogué que l'original !
Dans ce jeu de troubles, euh... doubles, chacun garde bien serré le masque qui lui camoufle le visage ; Zachary (personnage principal et narrateur), se grime comme ses idôles rock.
Méprisé par son père, humilié par son frère rebelle, Zachary lâche prise et part chercher sa vérité. Adieu les artifices en tout genre, dans le désert on se retrouve face à soi-même sans rien ni personne si ce n'est sa propre mort. Tel Jésus en plein désert, sous l'aveuglante lumière la révélation s'opère : je serais ce que je suis.
Pressenti différent dès sa naissance (qui s'avère bien plus compliquée que celle de ses frères) et affublé de dons surnaturels, Zach commence à suivre son destin de "bienfaiteur sur Terre" que sa mère dévote lui attribue du fait de sa naissance, un 25 décembre !
Cependant si les membres de sa famille ont choisi de vivre entre rêve et réalité, Zach lui, commence à refuser les étiquettes que ses proches lui ont collé d'emblée : NON ! il ne sera pas un nouveau Christ, pas plus qu'un "p'tit gars" capable de faire la satisaction d'un père faussement macho.
Et si la vraie différence c'était ça ? De refuser de se laisser figer par le regard des autres ? Refuser d'accomplir un destin choisi par les autres ?
Zach ne devient-il pas une "fi-fille" parce que son père a peur qu'il en soit une et récuse l'homosexualité ? L'androgyne David Bowie, n'est-il pas, bien mieux que le Christ l'ater ego de Zach ? ... mais au fond, Zach est-il réellement gay ? Masque-t-il son homosexualité parce qu'elle ne peut exister aux yeux de son père ?
Le film a une portée existentialiste et semble affirmer que l'autre ne peut aucunement conditionner ce que nous sommes. Nous sommes le seul maître à bord et Dieu (si tant est qu'il existe) est bien loin d'avoir la main mise sur nous. Pour se connaître, chacun doit donc aller au bout de soi-même chercher sa propre vérité ; et libérer son moi ne signifie pas rompre avec les siens : la famille constitue une sorte de sous bassement existentiel, la racine.
Le film se referme sereinement ; malgré la mort-suicide d'un frère, chacun trouve sa place et accepte celle de l'autre.
Une grande et belle fresque sur la famille Beaulieu, une famille type au fond... magnifiquement servie par les acteurs, au premier chef Marc-André Grondin (Zachary). L'accent et les vocables québécois n'enlèvent rien au spectacle au contraire ! Toutes ces expressions désuètes qu'emploient encore les Québécois ont une portée comique immense et servent tout particulièrement le rôle du père, superbe et magnifiquement interprété par Michel Cote. À la fois frustre et grandiose, véritable looser et père aimant, il incarne aussi la difficulté d'être parents. Si les parents Beaulieu veulent être bons... reste à définir ce que signifie "bon" et en fonction de qui et de quoi. Conclusion : 5 garçons carrément CRAZY ! À moins que ce soit leurs prénoms qui les aient prédestinés à être FOUS ! Christian-Raymond-Antoine-Zachary-Yvan.


site officiel

4 commentaires:

julien a dit…

Petites notes complémentaires :
On remarquera au passage un lieu clé : la chambre de Zach, aux murs recouverts de papier aluminium froissé, reflétant une image floue aux multiples facettes, métaphore de l'esprit trouble et instable de l'adolescent.

Je rajoute que la photo liée à ton article, met aussi en avant, la virilité du geste (laver sa voiture)... tandis que les éclats de mousse évoquent de masculines semences ! Et une toute puissance, Dieu n'est pas loin !

julien a dit…

J'oublais le principal !
Toujours à propos de la chambre de Zach : au milieu de cette chambre "miroir géant", la seule image nette est celle de David Bowie placardé derrière la porte d'entrée... idôle à laquelle s'identifie l'ado.

julien a dit…

Lorsque Zach se maquille en Bowie, la copie est presque parfaite... mais l'image est inversée (il s'agit d'un double plus que d'un simple reflet (le maquillage est inversé)). Bowie incarne donc la face ambiguë de Zach. L'identifiant homosexuel et androgyne qui a son tour se reflète sur les miroirs mal définis des murs sème alors le trouble dans l'esprit et l'entourage de Zach.

Bérangère a dit…

Nous avons beaucoup aimé ce film. Nous, nous avons ressenti ce que les parents ressentent face à leurs enfants, encore une autre lecture. Et nous avons pleuré à la fin.