07 novembre 2012

Une coupette de plus pour l'agent

James Bond (alias Daniel Craig) nous a habitué à du haut de gamme.
Costumes impec taillés sur mesure, coupe fraîche qui limite la casse après une course poursuite dans la pampa, grand seigneur et néanmoins macho-arrogant avec les femmes (qui aiment ça)...
Cependant on nous a caché que 007 est un gros alcoolique... et ça c'est pas glam' du tout, même s'il nous fait le coup des paillettes au casino.
L'agent a un gros bazard dans la poche (comprenez son Beretta), une belle grosse Omega au poignet... et souvent le verre à la main !

La preuve en chiffres et en images.
 De facétieux bondophiles ont mis Craig à l'épreuve. Dos au mur et côte à côte avec le fantôme de ses ancêtres, la vérité éclate aussi bleue que ses yeux... bientôt injectés !
Si Bond n'est pas 24/24 sur le terrain, faut pas s'tromper, c'est parce que le reste du temps il collé au zinc à faire le pilier de bar.
Dire qu'ici on arrive à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Le cinéma est capable de tout, même de transformer un alcoolo-flambeur en gentlemen panaché !
 Dans Casino Royale, l'agent se la raconte tellement qu'il invente sur le champ un cocktail nommé Vesper : summum du sex appeal aux yeux de l'héroïne. Je cite :
"A dry Martini, one. In a deep champagne goblet"
"Oui, monsieur"
"Just a moment. Tree measures of Gordon's, one of vodka, half a measure of Kina Lillet. Shake it very well until it's ice-cold, then add a large thin slice of lemon peel. Git it ?"
"Certainly monsieur."

Et hop', emballée la nana !
Nouvelles aventures : même recette.
Nous sommes dans Skyfall. Toujours une brune... mais cette fois, Bond ne pousse pas le vice, il ne sert pas tout à fait le même couplet : c'est ça la grande classe ! Cette fois il balance du champ'... et grâce au placement de produit nous aurons la chance de savoir qu'il fait péter du Bollinger.
Carrément moins excitant : la bière au lit. 
Que s'est-il passé ? A t-on lobotomisé 007 ? 
Disparu le dur de dur qui tient à l'alcool (le vrai) comme tout mec qui se respecte. Affalé et gros bourrin dans une chambre d'hôtel minable, ça picole une binouze en loucedé, une souillon au bras ! On est tombé bien bas... mais c'est le jackpot pour Heinekein. 
Enfin, terminons par les short-drinks, qui font de Bond notre écossais favori. En matière de whisky on ne l'a fait pas au super agent : du Macallan, et du 50 sinon rien. 2850 € la bouteille. Ça fait cher la cuite ... 

CQFD.
NB : Allez James, ne nous fait pas marcher : le coca, c'est juste pour le fric non ?

28 octobre 2012

Patrick Roger #3

Régulièrement, LGF devient le relais publicitaire du fameux chocolatier Patrick Roger. Cette année, Halloween semble refaire surface : réjouissons nous car nous n'avons jamais assez de dates au calendrier pour s'amuser et faire les fous ! 
Question friandises chocolatées ou pâtes d'amandes gourmandes faisons confiance au meilleur ouvrier de France. Nous allons croquer de la citrouille et nous gâter les dents... mais pour le déguisement du 31, c'est de circonstance...

01 septembre 2012

Frappée fort #2

Bulle comptait beaucoup de désordres dans sa tête mais son intérieur était tracé au cordeau. L'appartement était grand et parfaitement rangé. Dedans, elle vivait seule. Autrefois elle avait vécu avec Neil, mais Neil avait choisi l'adultère pour rentrer aux États-Unis et briser le couple. Au fur et à mesure, elle avait pris le temps d'agencer avec soin chaque pièce et décoré avec goût son décor parisien. Toute chose avait une place ; la place de chaque chose avait été longuement discutée. Elle, pourtant à l'origine du tout, peinait à s'inclure dans la scénographie, s'estimant superflue dans un cocoon absolument parfait. Cet appartement un peu trop dépoussiéré pour certains lui avait valu l'étiquette de fille totalement maniaque et snobinarde. Le verdict établit, elle se demandait par où elle péchait, si l'ordre, le soin et le plaisir d'être un peu esthète constituait un réel vice de forme. 
Les bandes de crêpe ne faisaient pas partie du design intérieur. Bulle s'échinait à cacher ces maudits rouleaux qui envahissaient les placards. Il était inimaginable de les voir traîner ici ou là c'est pourquoi elle passait et repassait méthodiquement d'une pièce à l'autre pour s'assurer que "tout allait bien". Le scénario se répétait plusieurs fois par jour : net, carré, rien qui dépasse.
Des coups dans la chair ; depuis toujours ? On ne sait  pas trop. Des bleus partout, tout le temps, épars. "C'est pas grave. Ça peut pas être grave". Elle se le répète ; souvent. Depuis plusieurs mois qui font des années, Bulle a de plus en plus d'hématomes qui lui maculent les jambes, piquètent les hanches et les coudes. Bulle va trop vite, Bulle se cogne et déchire sa peau. Bleu. Violet. Jaune. Vert. Le sang qui coule sous la peau a les couleurs de l'arc en ciel. 
Limiter la casse. Il était exclu de sacrifier au décor de l'appartement, d'apposer des coins et de recouvrir les meubles de papier bulle, alors Bulle choisit pour solution de rembourrer sa chair. Cela devenait urgent. Elle pris sa décision en observant son corps nu dans le grand miroir. Les jambes comme à l'habitude étaient violacées sur toute la longueur ; le plus spectaculaire était cependant l'arrière des cuisses qui portaient en trace de sang, le transfert de l'assise du rockin'chair Thonet. Elle y siégeait une heure ou deux le soir pour feuilleter ses dossiers du lendemain. Sur la peau claire, s'imprimait tout doucement le motif du cannage en petits pinçons de sang. 
Bulle entama sa momification. Les membres touchés disparaissaient sous le crêpe. Le cérémonial du bandelettage reposait sur l'hygiène et la méthode : elle lavait soigneusement ses mains, saisissait la bande, la plaçait délicatement pour dérouler lentement la pelote. Après une jambe c'était l'autre, puis le bras et ainsi de suite. Bulle admettait que les choses avaient déraillé. Les pansements étaient salvateurs, la mise en scène devenait une obsession. 
Mascarade. Jusque là elle s'en sortait. Elle avait développé une sorte de sixième sens, purement animal afin de masquer la somme de ses complexes et survivre. Chez elle, les bandages étaient cachés dans les placards ; sur elle, ils étaient dissimulés sous des vêtements stratégiques recherchés. De cette contrainte était d'ailleurs né un style, volé à Diane Keaton. Elle avait réglé la question des essayages en fouinant dans les friperies : pas de vendeuses, pas de cabines. Les habits de seconde main n'étaient qu'un autre aspect de l'une de ses obsessions tenaces : tout chiner. Elle pointait exhaustivement les dates des vide-greniers alentours et fluotait avec frénésie les cases sur le calendrier. Les déambulations d'un stand à l'autre était toujours pour elle l'occasion de dénicher un objet, au mieux un meuble pour son intérieur qu'elle rendait ainsi toujours plus unique, jamais ikeaisé. Elle choisissait les pièces avec son coeur, ignorant le prix au risque de l'arnaque. La chaise de style Adam, la coupe en bronze d'Albert Marionnet coûtaient une petite fortune mais jamais autant que le plaisir de les posséder. 
L'homme au chapeau. Il lui avait transmis cette manie de fureter son père. Il était plus ou moins brocanteur ; cela dépendait des circonstances et surtout du besoin en liquidité qui le pressait. Marginal, il était sur le fil de l'insertion sociale. À diverses reprises il avait manqué d'aller en prison, suite à de petites frappes minables qui lui avaient valu de perdre sa compagne, la mère de Bulle. Passé la séparation, la mère et les autorités de la protection infantile avaient décidé que l'enfant ne reverrait plus le père. Bulle n'avait pas posé de question. Elle gardait des contacts homéopathiques avec la mère et s'était faite à l'idée qu'elle n'avait pas de père. Elle avait cependant conservé une photo, volée. Il était beau ce père avec son chapeau. 
Chiner. En septembre, il ne fallait pas manquer la grande braderie de Lille. Elle écuma en vitesse son carnet de contact et arrêta son index sur Fabrice. Fabrice était parfait. Elle composa son numéro de téléphone et en un tourne main, rendez-vous était pris pour le week end suivant. La ville ressemblait à une ruche. Bulle et Fabrice butinait méthodiquement les étals, sans oublier le moindre bibelot. Leurs poches se gonflaient de babioles diverses et le moral de chacun se relançait à chaque acquisition. 
Flash Flipper. Fabrice s'arrêta net devant une série de vieux flippers. Rebelle un temps, il avait eu sa période bar et blouson noir. Les pinball, il en connaissait un rayon. Le vendeur ne plaisantait pas avec la marchandise. Jungle Queen. Un flipper beau à pleurer comme s'il avait fait un bond des années 70 à aujourd'hui. Fabrice s'approcha d'un peu plus près. Le vendeur engagea la conversation pour présenter le Gottlieb, au cas ou, et autorisa à toucher l'appareil. Fabrice se fit prier une seconde fois puis posa d'abord les mains sur la glace avant de les faire glisser de part et d'autre du coffre pour trouver les boutons. La table était hypnotique : les éléphants, les félins, la chevelure aux volutes psychédéliques, tout participait au rêve américain auquel Fabrice n'échappait pas. Bulle se rapprocha pour savourer avec lui le plaisir de remettre à la surface les vieux souvenirs. Les rais du soleil éclairaient durement la table. Les rampes et les cibles étincelaient comme si le flipper était sous tension. L'homme au chapeau leur tendit la main et l'ouvrit dans le même geste : deux boules métalliques y étaient logées. Fabrice saisit l'une d'elles et l'engagea dans le lanceur, juste pour voir. Bulle regardait. Le métal bien lisse roulait, s'aimantait avec rebonds sur les bumpers ; la balle allait et venait au gré des coups plus ou moins violents des flippers. Cela mettait plusieurs tours de suite avant qu'elle ne retombe dans un léger fracas. Il fallait toujours suivre la bille des yeux. À la longue c'était étourdissant. À chaque choc, Bulle repliait son intérieur : elle fronçait légèrement les yeux, serrait ses boyaux si toutefois c'est possible et cessait de respirer. L'homme au chapeau la remarqua et s'approcha d'elle comme pour la soutenir. Bulle sans mot marqua un geste de rejet et saisit Fabrice par le bras. Il y avait urgence.
Viol à main armée. Rentrée chez elle, Bulle n'arrivait pas à enterrer le souvenir de cet homme, de ce stand crasseux et de ce flipper. Elle fit bouillir de l'eau qu'elle passa sur un filtre garni de grandes feuilles noires. Elle laissait toujours la théière ouverte afin de contempler oisivement les volutes fumantes, toutes rondes, toutes plates et horizontales qui s'échappaient vers le haut. Elle porta deux coups secs du bout de l'index sur le verre arrondi de l'aquarium. Le poisson vira de bord et fit un tour. Le verre isolait l'animal : "un bleu sur du rouge ça fait quelle couleur ?". Bulle bu son thé et se recroquevilla dans le fauteuil Jacobsen corail. Elle aimait s'endormir dans cette coquille de feutrine, enroulée sur elle même et cachée. Ce n'était qu'une illusion, mais ainsi, elle se sentait poisson, hors d'atteinte tandis que déroulée elle se sentait exposée à tout. Allégée de quelques idées noires, elle pointa un pied et la jambe suivit. En se déroulant elle délogea un petit papier cartonné coincé sous l'assise. Bulle se pencha afin de saisir la photographie sur le parquet. Le père. Dans ses rêves elle enterrait le corps ; dans les cauchemars, le chapeau finissait toujours par ressortir. Elle tapait fort dessus, mais le Fedora de feutre noir dépassait toujours. Bulle rangeait les dossiers plutôt qu'elle ne les ouvrait. Elle avait placé tout au fond celui du père. Il fallait bien se protéger le coeur. Ça frappait fort dedans. L'homme au chapeau, à Lille ou ailleurs serait toujours là. Dans la tête. Ad vitam les réminiscences de la corde ad vitam celle du couteau entre les dents pour ne pas bouger. Il avait fallu des années et des kilomètres de tissus pour oublier les mains du bourreau. Le faux mort revenait vivant et malgré les couches, il arrivait encore à heurter Bulle au plus profond. 
Peau neuve. Bulle pianota sur le verre du téléphone. Le commerçant en bas livrerait volontiers deux bouteilles de Macallan 12 et rentabilisait sa soirée. Dix minutes plus tard, un jeune homme au teint méditerranéen sonnait. Elle saisi le sac de papier épais et paya la note. L'épicier soignait les commandes et livrait les marchandises comme on porte un bouquet. Bulle appréciait cette attention. Ce soir, les bouteilles arrivaient bien calées, enroulées l'une et l'autre dans une grande feuille souple de polyéthylène. Elle dénoua les gazes de son corps, comme chaque soir mais ne les replia pas pour le lendemain. Son corps d'un strict point de vu dermatologique était parfait. La peau était claire, guérie de tout. Elle déambula avec prudence dans l'appartement et revint s'assoir au creux du fauteuil rouge un verre à la main. Les glaçons tintaient sur le cristal et la chaleur de l'alcool les faisait craquer. Cela faisait un bruit miniature, indescriptible et réjouissant. Bulle n'avait pas forcément le goût des short drinks mais elle appréciait la sensation cotonneuse qui découlait de leur absorption. Elle ingurgita vulgairement plusieurs lampées de whisky pour oublier. Oublier tout et rien, elle ne savait plus trop. La sonnerie du téléphone. Trop tard ; trop loin pour décrocher. Ébriété avancée. D'abominables souvenirs qu'elle ne raccordait pas les uns aux autres lui revenaient en flash back. Elle avait beau courir pour rattraper le fil de son cerveau, sitôt qu'une image apparaissait  elle l'oubliait instantanément au profit d'une nouvelle tout aussi fugace. La soirée avançait, les bouteilles se vidaient. Bulle s'effondra sur le sol. Allongée sur le dos, elle berçait son corps qui tanguait mécaniquement d'un flanc à l'autre. C'est la tête qui impulsait le mouvement. Alors dans un éclat de rire ivrogne, elle se mit à rouler entière sur le sol. Lavée des tabous elle devenait à nouveau petite enfant et roulait sur la pente, grand foetus. Les jambes s'enchevêtrait dans les franges du tapis, elle bousculait le guéridon et s'entortilla enfin dans l'emballage précautionneux de l'épicier. 
À mi chemin entre le coma et l'asphyxie, Bulle partait plus protégée que jamais, le visage filmé de plastique bulle. Ad vitam

31 août 2012

(Presque) aussi vieux que le monde


Qui l'eu cru ?
Me hasardant sur le site de HiPP afin de choisir le futur lait de Brune Chérie, je tombe sur l'histoire de l'entreprise et vais de surprises en surprises : il s'agit d'une société allemande... et ancienne qui plus est.
Comment résister à faire partager ici quelques images du packaging vintage des premier petits pots ?

  • En Allemagne, la farine de biscottes pour enfants fut vendue jusque dans les années 50. Vers le milieu du 20e siècle, Georg Hipp, suivant le modèle américain, décida de se lancer dans la fabrication industrielle de nourriture infantile. C'est ainsi que dans les années 1956/1958, il mit quatre nouveaux produits sur le marché : deux variétés à base de légumes et deux variétés composées. Ce fut une grande innovation, car c'était la toute première fois que de la nourriture pour bébés était fabriquée industriellement et vendue en Allemagne.Très rapidement (1959/1960) l'emballage subit une transformation importante. La boîte fut remplacée par un emballage en verre plus pratique et plus hygiénique. L'éventail des produits HiPP connut un développement fulgurant. C'est ainsi que les mamans purent bientôt acheter des jus, des préparations à base de viande, des desserts, des menus pour enfants et des bouillies à base de céréales complètes et de fruits.

Sur le site http://www.hipp.fr/

23 août 2012

Frappés fort #1

Maintenant la fichette du calendrier marquait qu'on en était à l'été. Finalement les saisons avaient passé. Les amis tiraient hâtivement les conclusions. La vérité s'écrivait autre : elle vivait. "Survivait" persistaient à dire les mauvaises langues. Le voisinage assurait une bonne équipe de planque et de fait, représentait une source sérieuse pour tous les commérages. Les premiers temps elle n'avait guère quitté la propriété. 
Il s'agissait d'une belle demeure d'inspiration californienne, juchée sur un flanc de colline surplombant l'azur de la Méditerranée. 
Veracruz. Pierrick avait baptisée ainsi le domaine. Pour sa femme d'abord, Véra ; et puis en mémoire de Luis Barragán. Fanatique d'architecture, le vice l'avait mené jusqu'à voyager à travers le monde pour voir ou rencontrer oeuvres et maîtres. Véra et lui avaient célébré leur lune de miel au Mexique et Veracruz était née de tout cela. 
L'été se traînait. Ses journées brûlantes. La trotteuse de l'horloge qui tourne mais ne fait pas avancer le reste. Pour éviter l'ennui, il fallait s'organiser : se lever tard, prendre lentement son thé sur la terrasse et feuilleter le magazine avec nonchalance. Après, c'était le moment de faire un brin de toilette, juste le nécessaire car : "à quoi bon si on ne sort pas ?". Venait ensuite un intervalle temporel dans lequel se profilaient à nouveau les questions. L'ennui, c'est qu'il fallait meubler jusqu'au prochain repas ; et avec quoi ? 
La piscine restait la plus simple des occupations, du moins la plus simple des non-occupations. Pour Angela, l'employée, et pour les voisins à l'affut, cela ressemblait à une case cochée sur l'emploi du temps, c'était l'essentiel. Piscine.  
Véra. Ancien top model. Physiquement, il n'y avait toujours rien à dire : de la plastique solide qui expliquait probablement l'opiniâtreté observatrice des voisins. Véra en avait vu des couleurs et du paysage, des oiseaux à plumes, des histoires à dormir debout. Elle avait oeuvré dans un drôle de métier, s'était fait gloutonner presque fillette pour devenir une pépée à podium. Enfin pour elle, la roue n'avait pas trop mal tourné : elle s'était arrêtée sur Pierrick ; elle avait remporté le gain maximal. La combinaison n'était pas rare : ça avait même la côte dans la stratosphère businessidérale "de se bouffer de la bombe" ; mais question mannequins libres, il y avait plus d'offre qu'en matière d'Hommes d'affaires. C'était tombé sur elle. 
L'argent permet tout. Lorsqu'il séjournait à Veracruz, Pierrick consacrait la majeure partie de son temps à sa femme. Hormis quelques affaires qui ne patientaient pas, il estimait qu'une fois rentré à la maison - luxe fugace, le quotidien de Véra devait s'apparenter à un feu de Bengale conjugal. Revenu de New York, Londres ou Singapour, il débouclait en vitesse ses bagages les débarrassaient de surprises diverses et les cachaient avec malice un peu partout dans les recoins de la maison. Véra n'avait jamais le temps de désirer ou réclamer tel ou tel cadeau que déjà il était plié, emballé et offert devant elle, glissé entre les oreillers. À peine avait-elle le temps de dire merci, la suite arrivait. Elle ne s'en lassait pas. Rien ne sonnait faux : il avait envie de faire plaisir, il en avait les revenus, où pouvait se loger le vice ? 
Rien ne pressait. Ils avaient pris le temps avant de signer leur mariage. Très conservatrice, la famille Pierrick appelait vivement à l'union ; la mère de Véra, catholique, ne désapprouvait pas cet appel insistant. Résistants aux sirènes, le navire vogua, tant et si bien que lorsqu'ils débarquèrent l'idée d'avoir un enfant leur était venue. Il était grand temps de rentrer dans l'ordre. Le mariage s'imposait. L'enfant suivrait logiquement : il fallait un minimum de calculs. 
Choses et autres. Veracruz débordait de superflu : sous ce cube blanc, épaisse carapace pour un matérialisme triomphant, se juxtaposait (exemples pris au hasard) Maserati Grancabrio au sous sol, mobilier Pierre Paulin au premier, toile de Lucian Freud au second. Le paradis s'appelait Eden ; à vrai dire, il aurait été de bon ton de le rebaptiser Veracruz. Une fille allait naître et s'ouvrait devant elle un avenir où matériellement au moins, rien ne manquerait. Véra prenait le temps d'installer la nouvelle chambre. Elle avait choisi de jolies couleurs, douces et toutes en harmonie les unes avec les autres. C'était un mélange audacieux de fleurs et de formes géométriques qui conjuguait le style classique et moderne à la fois. Elle avait un don pour cela : arranger les choses. Elle avait des restes d'avant, des essayages et du stylisme. 
Boomerang. J'ai tout dans la tête et pas de tatouages sur la peau. Je peux frotter et gratter de l'ongle : c'est là. Je me souviens de tout. Et tous les jours, les images toquent à la porte. Mon coeur est sec mais bat encore. Pourquoi il continue ? Est-ce que le soleil peut sécher le corps et le brûler à petit feu ? La vie s'est arrêtée : je ne peux pas réparer de la mort. 
Une mazurka vivante. Gloria est née à la mi août avec un miaulement de petit chat. Véra miniaturisée. Véra sublimée, c'était encore possible. Gloria incarnait une sorte de syncrétisme, associant cette sociabilité mêlée de réserve caractéristique de Véra, tout autant que le sourire permanent et l'impétuosité de Pierrick. Très vite Véra eut l'intuition que la petite tirerait fortune de son corps. Malgré le jeune âge, on devinait déjà en regardant sa silhouette, l'évidence d'un corps aux formes rares. Sous l'implacable lumière du soleil, lorsqu'elle déambulait le long de la piscine, elle ressemblait anorexiquement à un Giacometti de métal. Le père un peu surpris, s'était finalement rangé à l'idée : elle intègrerait le ballet classique. Véra et Pierrick avait pris le temps pour mettre Gloria entre eux ; son arrivée n'en avait que plus d'importance. Désirée à point, cette enfant leur offrait le spectacle dansant d'une vie nouvelle. 
Frapper fort. Il avait probablement perdu le contrôle. Cela allait tellement vite ces voitures ; et en un rien de temps. Ce qui était difficile c'était d'imaginer tous ces scénarios et ne pas connaître le seul : le vrai. Elle était contrainte de ressasser en boucle, à l'endroit, à l'envers, en y mettant des noeuds, des évènements sur lesquels elle n'avait aucune prise et qu'on lui avait rapporté froidement un soir d'automne. Elle les attendait. La soirée d'anniversaire était prête. Le jardin était éclairé de lampions colorés. Angela avait dressé plusieurs petites tables sur lesquelles verres et gourmandises salées se répartissaient harmonieusement en préalable au gâteau qui suivrait. Eux ne sont jamais venus. Le triangle parfait éclatait : deux côtés disparaissait. 
Ils s'étaient construit un cocoon protégé de petites herses. Elle allait à présent régler l'addition de cette douce réclusion passée et demeurer isolée dans ce piège. Dans les premières heures suivant l'annonce, elle s'était mise à hurler contre l'injustice de la mort. Effondrée sur le sol, elle beuglait, les paumes plantée dans le sol et le visage inondé de larmes. Immonde spectacle. Répandue à terre, elle gesticulait et tentait en vain de se battre contre la mort dans une lutte dérisoire, comme si c'était possible. Dans un jeu virtuel d'intimidation, elle, si belle, était devenue monstrueuse. De rage, la bave s'échappait de sa bouche devenue béante afin que la respiration, entravée par les sanglots se fasse. 
Autour, on l'avait aidée et encouragée à reprendre la route. Après la crise, elle s'était enterrée vivante dans le tombeau de Veracruz qu'elle ne quittait presque plus. Elle avait trouvé nouveau refuge dans le silence, se rangeant à l'idée qu'il était finalement inutile de vociférer et de se martyriser pour "payer un prix". 
Dans la cervelle. Personne n'avait particulièrement exploré la question. Aucun spécialiste n'avait discuté du choc psychologique reçu ce soir là. Il n'était pas à discuter. Ce qui l'était davantage était le niveau de tolérance ou plus exactement l'intolérance du cerveau à un tel affect. Pour Véra, l'aversion de la réalité avait pris la forme d'une négation complète des faits et d'une confusion du présent avec un retour à l'époque de la naissance de Gloria. Les rares fois où elle quittait Veracruz, c'était pour rejoindre la ville à pied promenant une poussette vide comme un fantôme aurait suivi un parcours imposé. Certains soirs, elle se faisait proue de navire face à la mer, et montée sur les rochers qui surplombent la plage, elle attendait des heures un improbable marin qui ne rentrerait jamais. 
Le malheur des autres. Tous autour récupérèrent les miettes. Ils pleuraient le sort de la malheureuse, mais la justice passait : lui et ses grosses cylindrées ! On devait avoir une conscience pour conduire des bolides pareils ! Et avec une gamine à bord ! Les riches payaient. C'était logique. Les choses rentraient dans un ordre. 
Véra avait fini par retrouver un modeste équilibre. Grâce à sa mère pour partie qui était venue lui remettre le pied à l'étrier en s'installant de longs mois à Veracruz. Elle avait secrètement oeuvré comme le peut une mère qui se voit perdre son enfant. Elle avait du lui parler comme on susurre à l'enfant, tête blottie contre son coeur et la main caressant les cheveux. Elle l'avait nourrie avec les bouillies qui ressuscitent les morts vivants. Elle l'avait tenue du bout des doigts pour lui réapprendre à poser un pied devant l'autre. Elle l'avait essuyée au chiffon doux, peignée, coupée bien net. Elle, avait gardé son bébé. Puis elle était partie avec le sens du devoir accompli.
L'été se trainait (bis). La répétition des journées se poursuivaient : se lever, manger, se laver, lire, se baigner, manger, se baigner, lire, dormir... enfin, si possible. Malgré l'irréductible ennui, paradoxalement l'espace disponible pour les pensées négatives lui, c'était rétrécit. Bien sûr le souvenir de Gloria, de Pierrick et l'accident revenait plusieurs fois par jour à sa conscience. Sans qu'il n'y paraisse son corps était arraché d'un morceau de chair, mais néanmoins elle avait gagné contre l'aigreur, la méchanceté et la bêtise dans lesquelles elle aurait aisément pu verser. Véra vivait au jour le jour et c'était d'autant plus facile qu'elle n'attendait plus rien de l'avenir. Allongée sur la margelle de la piscine, elle se laissait bercer en regardant le fauteuil-Quasar Khanh flotter au ras de l'eau. Au fond, elle lui ressemblait et dérivait au gré du vent sans destinée précise. 
Angela, apportez-moi... Depuis l'époque des défilés, Véra avait continué de consommer plus ou moins et avec intermittence les alcools mélangés. L'après midi touchait à sa fin, mais l'employée avait le temps de préparer un dernier drink. Elle soignait toujours l'affaire, choisissant le bon verre, l'agrémentant de paille et de fruits. Véra souriait à ce luxe qui arrivait sur plateau et le sirotait dans son fauteuil flottant. Puis Veracruz se vidait du personnel. Véra aimait ça, passer les dernières heures du jour seule jusqu'au coucher du soleil et du sien. Elle termina le verre, croqua l'olive au bout du pic et le fit jouer entre ses doigts. Les lumières du jardin s'éclairèrent avec la nuit qui venait. Véra reposa son bras et le verre sur l'accoudoir. Imperceptible un bruit de pincement se fit entendre. Calée contre l'air sous plastique, légèrement ivre et ballotée par la houle, elle s'endormit. 
Police de nuit. Les voisins ont sonné le tocsin. Véra s'était noyée. Un accident. Pas un suicide, malgré "le dossier". Le fauteuil gonflable s'était crevé et comble de la malchance la victime était alcoolisée. Véra s'était retrouvée prisonnière du vinyle, étouffée par la matière plastique qui l'avait engloutie tandis que l'eau s'était engouffré dans les poumons. Le commissaire chargé de l'enquête avait donné les ordres ; on l'avait libérée des eaux. Étendue sur la terrasse elle ressemblait à une poupée géante que l'on aurait emballée dans du papier cristal. Même morte, elle gardait cette beauté absolue qu'elle avait toujours eue. Sans rancune, elle s'offrait en paquet cadeau à la mort.
Adieu Véra. Adieu Veracruz. Il n'y aura plus personne à attendre. 

Peinture Christie Asai, Sans titre, Huile sur toile.

19 août 2012

Coeurs et Cornes


Un régal de marmiton : la tomate de Marmande. 
"De pleine terre" : on oublierait presque qu'une tomate pousse (et de 1) l'été ; et de 2, dans la terre.
Du steak végétal : charnu, juteux ; rouge virant à l'orange sanguine, à point et parfaitement crues ! 
Une orgie, le temps d'une saison.

12 août 2012

Haro sur la Bovary !

Pour situer nous sommes à la page 70.
Magazine : Glamour ; échoué sur un siège de TGV. C'est triste ? Non, ça en dit long sur le contenu : feuilleté/balancé.
Pourquoi celui de septembre ? Ne m'en demandez pas trop. Je reste factuelle : celui de septembre. 2012.
Le dossier, si j'ose dire s'intitule "L'amour Duracell"; sous titre : Les secrets pour que ça dure (plus de 6 mois) fermez la parenthèse.
Alléchant !
Moi : Ironique !
Ce n'est pas tout : je reprends la coupure de presse, je tiens à être précise ! Page 70, disais-je, Audrey Diwan, journaliste à Glamour nous dit tout et en particulier comment "FAIRE DE LA VIE UN KINDER SURPRISE". Ouh la la la la ! Ça, ma grande Audrey, je commence à AdOrer ! Nan, mais faut la pondre (oui, elle est facile) une tournure pareille ! Une semaine et je m'en remets toujours pas ! Qu'est-ce qu'on peut lire comme *#/%-biiippp-/*#% quand même ! La Miss Diwan, elle mange grâce à ça ! Plus elle en invente des grosses et mieux ça passe.
Alors je poursuis : dans le même gros dossier, bien solide, bien costaud - du job de pro m'sieurs, dames, la nana qui a bossé te le prouve et te balance comme ça au milieu de ce salmigondis de règles d'or du couple-Duracell, qu'il est hors de question de finir (je résume l'idée) comme la pauvre tâche de BOVARY !
Nom d'une pipe ! J'vais m'la faire cette fois cette petite *#/%-biiippp-/*#% de journaliste de *#/%-biiippp-/*#% !
Nan mais un peu de respect :
Et de 1 : Laisse la règle d'or à François Hollande ;
2 : Laisse à Duracell l'énergie et garde la tienne pour canaliser ta connerie ;
3 : Quand tu auras 2 minutes relis tes classiques et tire 2 ou 3 leçons de respect pour les génies de la littérature française.
4 : Si tu tombes sur mon blog et que tu as besoin d'un nègre, sans rancune...

08 août 2012

Happy Day

Le revoilà ce mois d'août ! 
Août qui file à mon Blog-Adoré une strate de pages supplémentaire, un peu de poussière - que je retire au plumeau, mais pas encore de cheveux blancs.
Sept ans de publication avec, malgré les vaches maigres, un message par mois a minima
Mon B-A, je le bichonne, le shampouine puis le lustre : je lui ai soigné son habillage, sobre et "recta", il n'a pas pris une ride (fallait-il encore penser à s'inspirer des Wiener Werkstatte). Je lui choisi les plus belles images... et c'est un métier ! Enfin, je pense et réfléchis beaucoup, avant de trier LA pensée, l'élue qui va échouer ad vitam eternam sur la toile, exposée aux yeux de tous... ou de personne. 
Erreur. Car il y a MOI, toujours enthousiaste lorsque je retombe sur un petit mot ; parfois charmée à la relecture. Et puis il y a Eux, les rares, fidèles (pour certains) lecteurs qui se reconnaissent. C'est pas la grande foule et pourtant avec ce BLOG, j'ai mon luxe à moi. La crème des crèmes, la chantilly sur les fraises, la cerise sur le gâteau... d'anniversaire : JOYEUX ANNIVERSAIRE MON BLOG

29 juillet 2012

(John Singer) Sargent Pepper

Carnation Lily Lily Rose*

L'été, les moustiques, les grillades, le taboulé et ses POIVRONS.
L'été, c'est la saison des enfants.
Le mois de juillet, celui des chaleurs, du droit à la veillée après le souper et de la dernière cigale qui indique l'heure du coucher !
Comment c'était déjà d'être enfant ?
Et qu'est-ce que l'on perçoit de tout "ça" quand on est "petit" ?
Qu'est-ce que l'on perçoit du monde des "grands" ? De ces grandes tablées nocturnes ponctuées de bouteilles vides, des conversations à bâtons rompus et des rires gras de Grand-Papa ?
Peu. Rien.
R.
I.
E.
N.
RIEN. On en perçoit rien, car la plupart du temps, les règles des adultes sont opaques aux petits.
Les adultes parlent FORT.
Les adultes disent NON, n'expliquent pas.
Les adultes interdisent pour éviter parfois de se remettre en cause EUX parce que ça leur fait mal, alors sans que cela se voit, ils abîment leur petit : tac ! coup de couteau dans le ventre et garde le venin bien profond que ça te suçote le foie pour longtemps.

Il y a des enfants sages (la majorité ?) et peut-être des "terribles" comme disait Cocteau. Les enfants "inadaptés" au "monde des enfants", ceux dont on dit qu'ils ne "sont pas dans le moule" (Téfal), sont à mes yeux les plus BRILLANTS, sans aucun doute aussi les plus difficiles à cerner. Mais le jeu vaut toutes les chandelles : nous parlons de génie.

Quand j'étais petite, je n'étais intéressée par RIEN.
Les lectures de jeunesse par exemple, je les trouvais idiotes et ne lisais pas. Rapidement le diagnostic s'est imposé via  ma mère : je détestais lire. Quand j'ai découvert Molière, Camus, Flaubert, j'ai eu un choc ! C'était à 15 ans. Dans l'intervalle, combien de fois n'ai-je pas entendu : "tu ne lis jamais, c'est pas bien... " ; voire la petite variante : "fais comme ta soeur, prends un livre" ! Bien des paroles superflues, en regard du constat suivant : plus littéraire que LGF, tu meurs.

Quand je suis tombée sur ce tableau de John Singer Sargent, j'ai immédiatement eu envie de le joindre à mon blog. Je ne sais jamais à l'avance ce que vont devenir les images que je pique sur Internet, mais il va de soi que ces petites filles renvoient à une certaine idée de l'enfance-innocence que nous autres avons perdu en devenant adultes.
Chacun s'est déjà fait en parcourant ce blog, une idée de mon tempérament mélancolique. La tournure du message ne pouvait donc être tout à fait autre !
J'aimerais pour finir parler d'une dernière chose.
Ma mère rappelle souvent que mon grand-père, Fernand, disait à peu près la chose suivante : les enfants ont leur monde à eux. Parole simple. Cela me fait penser à leurs dessins. Aux dessins d'enfants, qu'ils sont les seuls à comprendre ; les seuls à dessiner de la sorte et aucun adulte n'a jamais réussit à reproduire le "je ne sais quoi-d'insaisissable" contenu dans le dessin d'un enfant (vaine quête de Picasso). C'est simple, simple comme cette conclusion : prenez soin de l'enfant, emballez-le dans du papier bulles : FRAGILE.

* 1885-1886, 174x154,8 cm, Tate Gallery, Londres

23 juillet 2012

Outrance

Vue cent fois et jamais fixé qu'ils l'avaient nommé favela.
 Mauvais goût, d'autant qu'il s'agit d'un "repose-séants" : à croire que les frères Campana (qui l'ont dessiné) s'assoient sur tout ça... 
... Favela en tête, la mise en déco ci dessus devient d'autant plus nauséeuse. Faut-il se réjouir du choc des contrastes ? ils disent :
- Vous comprenez, il faut jouer le décaaâlaaaâaage ; le Baroque s'accomode de l'avant garde, le strass convole avec le diamant ! La règle c'est qu'il n'y a plus de règles !
Alors voilà, on se retrouve avec : 
- un fauteuil hors de prix, 
- un fauteuil nommé "bidonville" 
- un salon Rococo-rico fort luxueux
- et des décorateurs d'intérieurs fous (c'est un pléonasme ?).

On l'aura compris le mélange ne ressemble pas au smoothie préféré de LGF, qui de toute évidence s'acharne (y compris pendant les vacances) à couper les cheveux en quatre... 
Sa conscience devrait lui conseiller d'urgence de changer de support : de laisser tomber les cheveux pour le bois. Un fauteuil en bûchettes c'est carrément plus rentable qu'un blog et ça représente une belle occasion de sortir... du bois.
message inspiré par cet ouvrage
éditions Pyramid

20 juin 2012

Ripolinez l'Art !


Au tout début de la rue Croulebarbe, il y a un grand mur.
Les "Artistes de la rue" repèrent les murs.
Pas mal de fois que Miss-Tic y a "poché" ses chouettes nanas.
À tous les coups c'est pareil : la Mairie du 13ème envoie sa petite équipe de karchériseurs pour nickéliser le mur. Sont marrants dans leurs pétrolettes avec leurs p'tits pinceaux. D'autres artistes !
Du bon boulot ils en font : ils remettent tout à nu... Et Miss-Tic revient.

Finie la clandestine. Miss-Tic est devenue une sacrée artiste (une artiste sacrée). Elle est évidemment reçue ici et là dans les médias (ouh ! que c'est prestigieux ça !), est accrochée dans les galeries... mais elle poche toujours et reste rebelle. Quand on se promène dans les rues de Paris on tombe encore sur ses jolies brunettes déjantées et toutes en jambes.
Delanoë a beau aimer l'Art, elles ne manqueront pas d'être encore et encore recouvertes de blanc ces pépées. Un brin de couleur dans nos vies/villes ? Il faudra s'accommoder du blanco, du bien lisse, du bien tout uniforme, du bien tout pareil, du bien tout qui ne choque pas, car c'est bien connu : "rouge sur blanc tout fout l'camp"...
Trêve d'humour (plus que) douteux, "on" parle désormais d'Art de rue afin de catégoriser un peu les choses, mais un esprit logique (!) est quand même en droit de se demander dans quel "cadre" il peut donc librement s'exprimer ?
L'Art de rue n'est pas franchement prêt d'être un art de vivre en ville...

18 juin 2012

Sushi c'est fini


C'est devenu notre petit rituel des dimanches des mois de mai et juin... à moins que cela ai commencé bien avant... pas seulement le dimanche.

En mai, nous avons un anniversaire à fêter.
En mai, il y a deux tours d'élection présidentielle : si Kiki est devant au 1er tour, on fait péter le Mumm et la NYC Box by Lenny Kravitz ; si Kiki est président on fait péter le Millésime Abelé (consigné à la cave) et la Black Box (à laquelle nous avons préféré devant le fait accompli (bravo Kiki) une sélection gargantuesque perso).
Je poursuis.
En juin, nous avons la fête des mères.
Le 1er tour des législatives : Deutz + "Allo ? Sushi Shop ??".
La fête des pères, et conclusion de ce marathon gastronomique : une assemblée ROSE BOURBON : Bollinger + Plateau ci dessus.

... Bon et maintenant on fête quoi ?

16 juin 2012

Moi, moi, moi et Newton aussi

Après avoir discuté avec les uns et les autres de telle ou telle situation relationnelle vécue ou non, je me suis mise à penser à Newton.
J'ai revu en flash le pendule chromé qu'avait mon père. Cet instrument de physique devenu the gadget dans les années 80.
Cinq boules métalliques maintenues en l'air par des filins. Quand la 1ère exprime sa force, elle dégomme les autres sans pour autant en rester là : Vlan ! Elle te renvoie le truc dans les dents...

... Beaucoup de gens l'ignorent, mais la pratique du "tu me piques / je te pique" valide, dans une certaine mesure la théorie du balancier de Newton. CQFD.

15 juin 2012

Rock'N Ormal

Threesommes.
Relation à trois.

Il y a (honneur aux dames) Valérie, Ségolène et François.
Ségolène et François vivaient ensemble.
Aujourd'hui François et Ségolène sont amis.
Valérie aime François, mais n'aime pas Ségolène.
Ségolène n'a pas donné son point de vue sur Valérie.
François vit avec Valérie.
À vous de compléter la grille...
... Sauf qu'il ne s'agit pas d'un jeu.

Les journalistes, la droite glosent depuis ce fameux tweet de la miss @valtrier et on nous sert à n'en plus finir du "1er faux pas de celui qui se prétendait normal" : bla, bla et bla...

Nan, mais, c'est pas ça précisément la normalité ?
Le divorce, la jalousie, les crêpages de chignons dans les familles tout court et a fortiori dans les familles recomposées, c'est pas ça la définition de la famille du XXIème siècle ?
J'avais lu dans Télérama, au moment de Noël, un excellent dossier sur le sujet. Pléthore de sociologues s'échinaient en effet à démontrer que la famille d'aujourd'hui avait changé de contours, qu'elle était polynucléaire et totalement regénérée dans ses rapports : re-bla et bla et bla...
Quel dommage que les journalistes aient compris (merde à l'intelligence) qu'il pouvaient gagner beaucoup de fric sans faire leur métier. Merde à la racole, c'est toujours le fond qui en pâtit !
J. Brel disait : la bêtise c'est de la paresse...
... Alors gardons la force d'ouvrir les livres.

14 juin 2012

À la chaîne


Machinalement il prenait toujours ses rendez vous le lundi.
Il avait observé que le cabinet médical était plus calme, qu'il n'y croisait personne. Pas de patients ou peu, seul le psychiatre qu'il consultait depuis plusieurs années. Médothique et organisé il était donc contraint de "prendre sa journée" comme on dit dans le monde du travail, afin de se rendre à sa séance thérapeutique ordinaire. Au départ, il fallait camoufler sous divers motifs ces "absences" relativement régulières et systématiques du lundi, mais au fur et à mesure qu'il avançait dans le travail, le médecin avait espacé les "visites" et désormais les consultations prenaient la tournure d'un "appoint". Le traitement réagissant bien selon lui, ce dernier avait pris la décision mais "avec votre accord", d'en rester là : une consultation trimestrielle.

Le cabinet d'un psychiatre.
Il était de nature rêveuse. Parfois au bureau, entre deux projets, il se rendait bien compte que son esprit s'envolait. Son regard dépassait le cadre, allait se fixer au hasard sur le tableau en liège du fond ou sur le porte manteau. De là, il pêchait une idée, se revoyait garçon sur son vélo pour faire la course ou se bagarrer avec son frère. Dans le même esprit il revoyait encore ce frère lui fourrer des bottes de pissenlits par l'arrière du chandail...
Disparu dans la nature son frère. Son jumeau.
Un jour, il avait reçu une carte de Montréal.
Là bas, tout allait lui sourire, il l'écrivait. Personne n'en aurait douté. Il était de l'espèce des gagnants et l'avait déjà démontré à bien des reprises au sein du couple "les jumeaux"- on les nommait ainsi en famille. Sous couvert du rire absurde des Grands, il avait tant de fois été brimé par ce frère, qu'il fallait être aveugle et sot pour ne pas comprendre la distance, non seulement physique, mais affective entre eux devenus adultes.
Aussi paradoxalement soit-il, quand son esprit divaguait et malgré tous ses ressentiments il voyait son frère et sa jeunesse.
En réalité quand il se regardait aujourd'hui il avait bien du mal à faire la synthèse entre cette enfance en apparence heureuse et le présent sinistre dans lequel il estimait patauger. Au prix d'un effort intellectuel monstre il tentait d'expliquer ce hiatus en vain. Qu'est-ce qui l'avait amené à pousser cette porte et à s'allonger un beau (?) jour sur ce divan ?

Il en était passé par toutes sortes de mal être mais leurs traductions avaient toujours cependant une nature commune : l'excès, le scandale. Périodiquement il sombrait dans la consommation d'alcool et de drogues puis enchaînait sur des phases de flamboyance professionnelle qui lui conférait une célébrité et un sex appeal intéressant au sein de l'entreprise. De fait, il se livrait par exemple sur le plan sexuel à une conduite hautement risquée, organisant sa débauche dans des conditions hygiéniques irresponsables. Longtemps il s'était trouvé des circonstances atténuantes, mettant tout sur le compte de son job et du "Monde Artistique" nécessairement Bret Easton Ellisié. C'est un matin, très tôt, en quittant le casino d'Enghien, qu'il réalisa au volant de sa Chevrolet-Bel Air 1957, que rouler à tout berzingue à moitié bourré et les poches vides ne pouvait pas être qu'un style de vie. C'est aussi parce qu'après cette période "glorieuse", le cours de sa vie se compliqua sérieusement. Pour des raisons le dépassant littéralement et en "conséquence de la situation économique mondiale", son entreprise se trouvait de facto rachetée par sa concurrente britannique. Ils en avaient tous tellement entendu parler qu'au fond, au bureau, ils n'y croyaient même plus. Pourtant, la réalité se traduisait par un gigantesque plan social. Pour toute explication il fallait se contenter grosso modo d'un "pas commodes les rosbifs", y compris venant des supérieurs hiérarchiques dont on pouvait attendre mieux quand même.
Pas eux qui allaient bouffer des alphabets dans la soupe. Reclassé ? Même pas. Concrètement il était VIRÉ.

Les questions matérielles n'allaient pas se poser tout se suite. Nombreux étaient ceux qui lui faisaient remarquer qu'il "dormait sur un tas d'or", faisant parti de ces "jeunes parisiens" ayant investit dans la pierre. En outre, si lors de ses phases maniaques il claquait littéralement tout se qu'il avait dans les mains,  ses salaires lui avaient assuré une épargne convenable.
Le coup porté, l'était au moral. Il se tuait à incarner la vaillance, non seulement dans la sphère professionnelle mais aussi familiale et il commençait à trébucher sur ce costume dégrafé.
Sur un plan strictement pathologique, on le soignait pour dépression. Il ne cherchait pas tellement à en savoir plus. Il acceptait les faits, s'en remettant sagement à la science convaincu de toute façon qu'en connaître davantage sur le sujet ne pouvait en aucune manière apaiser le terrain. Le psychiatre ayant bien fait le tour de sa nature profonde avait donc affiné au fil du temps un cocktail de psychotropes idoines et "dernière génération" censés réguler le fonctionnement cérébral. La science étant ce qu'elle est, il avait toutefois ponctué que "tout cela ne faisait pas de miracles". Lui, en avait compris l'essentiel : la chimie n'efface pas la folie humaine. Le succès était dans la modération et le contrôle partiel. Sortir de l'addiction, c'était encore autre chose.
Il avait renoncé à comprendre pourquoi il s'infligeait ces petits rituels. Se droguer, boire, rouler, dépenser : s'éclater  au sens le plus large possible : propre/figuré, SALE. Il y avait lui, pitoyable, débraillé, encore tout cuvant au volant de son américaine ; et puis lui rentrant de rendez-vous nocturnes où le charnel et le violent s'expriment en groupe dans un mélange nauséabond et malsain. Revenu de tout cela, il avait du mal à ne pas s'interroger sur le sens de ces agissements. Cela ne lui apportait rien... même plus le plaisir, si tant est qu'il en ai eu un peu au début. Un jour, allongé sur le divan, il s'était surpris à dire : "c'est comme ça, il faut que je le fasse". L'illusion d'un mal pour un bien...

À la pointe sèche.
Je suis illustrateur. La boîte m'a embauché pour ça. Ils aimaient bien mes dessins. Ils m'avaient repéré dans une galerie. Mes gravures se sont retrouvées dans leur Canard. Aucun mal à m'imposer. Ça a tout de suite convenu au patron. Professionnellement, pas de problème. Pour moi il n'y avait pas de problèmes. Maintenant on me serre la main, "mon pote, on est désolés". "Désolés". C'est un peu court...
Je pense à ce paquet de suivants, trop contents de me voir partir. Ah ! j'en ai fait marrer quelque uns avec mes gribouillons. C'est qu'à "Pâaris les gens sont assez stupides pour mettre une fortune dans une merde griffonnée". Ils l'ont leur vérité : je suis dans l'ascenseur direction le sous sol.
Comme à chaque séance, le docteur écoutait sagement. Il ne notait rien, mais de toute évidence n'en ratait jamais une. Après un long silence, c'est lui qui prit la parole et pointa son index : "souhaitez-vous me parler de ces marques là ?"
Il s'était taillé doucement le bras gauche comme il incisait ses plaques de métal. Une fois encore il n'avait pas cherché à intellectualiser l'acte. Il n'avait plus de matière à travailler, il s'était mis à usiner méticuleusement son corps. À problème, solution.

Lundi.
Cartes sur table.
Le psychiatre semblait heureux d'agréger enfin de nouvelles pièces au dossier. Il l'avait trouvé profondément concerné quand il avait évoqué le licenciement.  Sur son visage filtrait quelques émotions, perceptibles à un haussement de sourcil, à une longue inspiration.
Fin de la séance.
En général, le psychiatre se gardait le droit de conclure et de distiller de longues phrases savamment codées qu'il était probablement  le seul à comprendre. Il marqua un temps bref, pris une feuille vierge sur sa gauche et dit avec un léger rictus en regardant son patient par dessus les lunettes : "trithérapie !". Un rien cynique, il se flattait de récupérer ce terme sinistrement connu pour l'appliquer au traitement de choc qu'il administrait aux malades frappés d'addictions non chimiques. Puis, après avoir regardé sans aucune précaution l'horloge posée sur l'étagère à sa droite, il dit : "dans cinq minutes mon patient suivant sera à votre place. Il va bien aujourd'hui. Il y a 2 ans, il se mutilait vingt cinq fois par jour. Je ne propose jamais cela. Avec vous, j'ai une intuition : rencontrez-le."

Salle d'attente.
Il entendit le patient sonner et le psychiatre lui exposer la situation. L'homme était d'accord. La rencontre aurait lieu. Le médecin revint et indiqua le chemin du cabinet, chose acquise. L'autre était déjà installé, de dos face au bureau.
Même de dos, même la nuit, même partout, même dix ans après il le reconnaissait. L'autre patient, l'autre malade, l'autre, c'était lui, le frère.
Mais lui, c'est lui ?
Il senti tous ses repères partir.
Physiquement d'abord. Il sentit ses oreilles se déconnecter de la scène et le besoin instantané de se raccrocher à quelque chose pour ne pas chanceler. Sa vue devint blanche, sa respiration profonde et rapide avec une angoissante sensation de manquer d'air, d'étouffer. Il plaqua ses mains contre son visage en inspirant ses paumes puis les fit glisser sur sa poitrine toujours haletante.
Le psychiatre avait perdu la main sur la situation, stupéfait d'assister à une pièce dont les acteurs lui échappaient totalement.
Un mauvais trip, il en avait connu.
La réalité était désormais en face comme un miroir.

11 juin 2012

Regarder les fenêtres

Il y a sans doute des saisons propices.
À la radio, ils nous rappellent que nous autres, les Français nous déménageons beaucoup. Beaucoup plus fréquemment qu'auparavant. Accélération des mobilités, efficience toujours renforcée des moyens de transport...
C'est dans la soirée que je me suis mise à réfléchir à ça. Je me suis souvenue les différents appartements que j'avais déjà occupé ici à Paris : deux dans le XIème arrondissement et puis l'actuel dans le XXIème. J'y repense. Souvent d'ailleurs, mais sous forme de "référence", pas comme une nostalgie. Bien sûr ces lieux sont associés à de nombreux souvenirs, beaux et certainement moins beaux (il faudrait davantage y réfléchir), mais une fois quittés, les lieux disparaissent, comme si une fois la porte refermée, le tour de clé donné, le chapitre était clôt. C'est purement logique : une fois votre bien vendu, vous n'êtes plus "chez vous" ; je ressens tout à fait cela, cloisonnant parfaitement le passé du présent.
Chaque emménagement par la réciproque est une nouvelle page à écrire. Néanmoins, nous ne sommes jamais neufs dans les histoires. Depuis notre installation ici, où beaucoup reste encore à faire, les projets d'aménagement et de décoration vont bon train. Je parlais plus haut de "références". C'est vrai. S'il n'est pas difficile de passer d'un espace à un autre, en revanche on recherche toujours un peu le même décor. La nuance est subtile. C'est étrange cette nécessité à systématiquement recréer son cocoon. C'est profondément animal j'imagine.
Enfin, je m'éloigne un peu de mon illustration et de la brève idée que je souhaitais exposer aujourd'hui. Ce soir là, faisant donc l'inventaire des lieux que nous avons habité dans la capitale, j'interrogeais Julien et lui demandais si nous aussi, nous ferions comme nos parents, enfin comme les miens faisaient lorsque j'étais petite... et même longtemps après encore.
Est-ce que nous aussi plus tard, repassant en voiture dans le onzième arrondissement, rue des Goncourt ou des boulets, nous ralentirions le véhicule pour nous pencher et regarder, le nez collé à la vitre, les yeux levés vers l'immeuble, notre passé avec notre fille assise à l'arrière tout à l'écoute et pourtant exclue de cette histoire et des "tu te souviens..." ?

08 juin 2012

Queue de cheval

La plupart du temps les supplices étaient raffinés.
Les bourreaux se donnaient d'abord la peine d'asticoter les victimes sur le papier, théorisant sur l'Art et la manière de tuer. Pas forcément de code pour les femmes. On adaptait au besoin. L'essentiel c'est le châtiment, mais par la ligne courbe. Que ça dure. Le tumulte s'accommode avec la justice. 

Il est question un autre temps. 
D'un temps barbare ?
Il est question d'une femme. D'une jeune femme. Encore neuve. D'une beauté déconcertante. Un visage lisse, aux contours adoucis. Des traits réguliers ciselés avec précision dans les chairs. Le nez rectiligne, les yeux grands, dorés ; la bouche délicieusement rosée. Tout ensemble participait d'une sorte de perfection mathématique, telle une créature fondée sur le nombre d'or. La chevelure cependant faisait exception. Elle était démesurément longue, laissée ainsi depuis des années. Personne à cette heure, ne connaissait le véritable motif de cet abandon. 

Ici et là, on entendait bien des légendes. 
Des racontars fameux se répandaient dans le royaume. Cette toison nourrissait les passions les plus délirantes et viles. Les hommes et les femmes aussi, souillaient la jouvencelle de vulgaires pensées : les plus véhéments la fantasmait en gourgandine, tandis que d'autres, plus modérés et minoritaires contaient de folles romances et l'inventaient Pénélope. 

Il est temps de dire à présent qu'elle était fille de France, mais inutile pour l'heure d'en savoir plus. 
Deux colosses sur ordre la capturent. Elle se débat et crie. Violentes douleurs. Elle a mal aux poignets, ils les lui serrent très fort. Bruits de ferrailles. Son visage n'a pas l'habitude des formes qu'il prend à l'instant. Son front n'a jamais connu les rides, ses traits n'ont jamais autant tirés. Ce sont des brutes. Brusques. À certains instants ses pieds ne touchent plus le sol. Ils le frôlent, des orteils tout juste. C'est comme ça qu'elle a monté les escaliers : empoignée aux aisselles et le dessus des orteils léchants l'arrête des marches. 
Odeur chaude et pestilentielle de ces gens de main. Peur et incompréhension. Un innocent supplémentaire va subir une arbitraire décision.


Pleine lune.
Robe blanche noircie par ces péripéties nocturnes. Ils la présentent enfin au père. Dignité de roi malgré l'heure, le lieu, les circonstances. Paroles. 
Par sa personne, Mademoiselle met à mal l'image et l'intégrité du royaume. "Calomnie", "Risée des monarchies voisines", "croyez bien qu'il m'en coûte mais après avoir considéré toutes les possibilités, seule celle de votre sacrifice s'offre à moi". 
Quelques mots en plus ; de l'ordre de la justification par la raison d'Etat et non celle du coeur, qui n'est pas remise en question. Il le dit. À cette heure, les mots sonnent tout de même un peu faux, quand l'un s'en retourne mettre son grand corps au chaud du lit et que l'autre part pour le grand voyage... 


Pour redonner un peu de lustre au blason de France, l'on avait décidé en haut lieu de frapper fort. Pour éradiquer les rumeurs et laver l'infamie, un cercle de spécialistes avait été sommé de proposer à la victime plusieurs sévices aussi cruels que possible et surtout inédits. Après débat, le père trancha. La foule serait rassasiée de voir dans les rues de Paris la fille nue, montée sur un cheval vagabondant au hasard. Enfin, il lui parut juste qu'elle soit condamnée par là où elle était prétendument coupable d'avoir péché. Il décida donc qu'elle serait attachée par la chevelure à la queue de l'animal par la circonstance rendu fou. Son corps fût retrouvé bien entendu. Loin. Vilain spectacle. 
Traînée sur des kilomètres. Le peuple se délectait. Celle qu'il nommait ouvertement "la traînée" payait ainsi le juste prix et opérait symboliquement une sorte de purge du pays, le lavant de tous ses péchés. Le père aimait dire que "tout avait si bien été étudié à l'avance", jusqu'au petit "jeu de mot" ; il se flattait de tant de réussite politique ignorant l'ignominie de la situation.
Peu de choses. Il en restait peu de choses, d'elle et de sa beauté. Ses cheveux avaient tenus, résistants un long moment. Ils lui avaient été fidèles ne cédant rien ni aux pressions de la course ni à celles du terrain. Ils s'étaient effilochés secondes après secondes mais l'avaient accompagnée jusqu'au bout, rompant à l'unisson de son dernier souffle. 


Elle n'avait jamais cru bon se répandre auprès de ses soeurs, ni de sa mère. Elle avait fait fi des bruits de cour. Elle avait affronté, le matin même, sans honte, les crachats de la foule. L'intégrité lui avait réchauffé les entrailles et tout était resté dedans. Elle n'avait jamais cherché querelle à personne et elle partait heureuse en dépit du sort infligé. Elle partait soulagée du monde, libérée de ces lointains et de ces proches qui l'avaient tant vilipendée. 
Par la force des choses elle était donc prête à retrouver celui pour lequel elle avait laissé cette tête en friche. Un garçon-chevalier parti guerroyer et jamais revenu. Elle l'avait cru mort. Amoureusement, elle avait consigné cette tendresse sur l'écorce d'un arbre, en gravant sauvagement quelques mots signifiants. Elle y jurait devant la nature qu'en l'honneur de lui et de son bonheur si grand de l'avoir connu elle ne toucherait jamais plus ses cheveux pour en garder les torsades qu'il s'y enroulait le long des doigts. 


Je peux vous raconter cette histoire.
Faites confiance, je la tiens de source sûre. 
Il y a trois ans, j'ai fait la connaissance d'un homme. C'est lui qui me fit ce récit. Cet homme est le guerrier. Le guerrier n'a pas péri. Revenu au pays, il s'enquit des nouvelles au plus vite et su ce qu'il y avait à savoir. Pour se recueillir il se dirigea vers le parc attenant où le sous bois semblait encore résonner de leurs rires. Il sentit l'émotion le submerger, les larmes dilater sa vue. Des images folles se mettaient à danser dans sa tête. Elles combinaient des temps et des évènements dénués de liens : il y avait Elle, puis le champ de bataille sous la pluie, la mort en personne et des rires d'enfants. Il ferma les yeux avec énergie et donna un petit coup sec de la tête vers l'avant comme pour se réveiller d'un cauchemar. Il revenait de la guerre. Il en avait vu. Il n'allait pas se laisser avoir par ces chimères bonnes à rendre fous les soldats. Il continua sa marche jusqu'à l'arbre. Un arbre qu'il ne savait pas décrire, ignorant tout de la botanique, mais dont il disait "notre arbre". Il enserra le végétal dans une longue étreinte, la joue contre l'écorce, les mains agrippées aux reliefs du bois. Ce n'est qu'ensuite, en faisant un pas en arrière qu'il fût interpellé par l'accroc sur le tronc. 


Est-il nécessaire de raconter ce qui est beau? 
Est-elle savoureuse l'histoire qui narre le réussi, le merveilleux ? Du malheur et du dramatique sont nés les plus beaux poèmes, les romans les plus éclatants. 
Allez Compère ! Cette histoire n'a pas de morale, elle parle d'un autre temps, reprenez vie ! Mais grâce à moi, vous connaissez désormais avec certitude cette histoire !
Nous nous sommes trouvés l'un en face de l'autre, ce soir à cette table et vous m'avez semblé sympathique au point que je ne lâche plus la parole. Tenez, je vous offre ce dernier verre pour me faire pardonner cette mélancolique histoire et nous aurons ainsi tout oublié de l'affaire !


Librement inspiré par le tableau de John Collier
Lady Godiva, 1898, The Herbert Museum, Coventry.